L’étude archéologique du site Acoua-Agnala M’kiri a débuté en 2005 par une prospection avec récolte de tessons et reconnaissance de quelques
arases de murs. La construction sur ce site d’une habitation a fait apparaître lors du creusement des fondations de nombreuses arases de murs maçonnés. Une rapide fouille de sauvegarde effectuée
en 2006 a permis d’en recueillir le plan tandis que deux sondages ont montré l’existence de niveaux archéologiques antérieurs. Le prélèvement de charbon dans ces niveaux a montré par la suite,
après analyse RC14, que ceux-ci dataient du XIVe siècle. L’année suivante ainsi qu’en 2008, la fouille a été étendue à une plus grande superficie pour mieux comprendre le plan et la nature des
édifices auxquels les arases de murs appartenaient. La densité de murs s’est avérée très surprenante et un quartier d’habitation en pierre nous est apparu. La poursuite ponctuelle de la fouille
sous ces constructions a révélé l’existence d’autres structures d’habitat remontant au XIVe siècle. Le substrat naturel latéritique ayant alors été atteint, il n’a pas été possible, en ce lieu,
de remonter plus haut dans la chronologie d’occupation du site. Par contre l’étude de la stratigraphie révélée non loin par le déblais de la route nationale, comportant notamment une portion
visible du rempart, a permis de mettre en évidence des niveaux beaucoup plus anciens complétant notre connaissance du site.
À l’aune de ces découvertes, il est possible de reconstituer 10 phases d’occupation du IXe au XVIIe siècle.
La base de la stratigraphie étudiée en 2008 composée du substrat latéritique associé à quelques tessons de tradition Hanyoundrou
(décorés d’impressions de coquillage arca) et de charbons dont la datation par analyse RC14 a fourni la fourchette chronologique située autour de l'an Mil.
Tesson de la période archaïque, de culture Hanyoundrou, Xe-XIIIe siècle, décoré d'impressions de coquillage
arca. Acoua Agnala M'Kiri, photographie M.Pauly 2008
une couche rubéfiée observée sur toute l’étendue du site, sans doute suite à un violent incendie, a livré des traces d’habitat en végétal avec trou de
poteau, des tessons de tradition Hanyoundrou et un tesson d’importation moyen-oriental de type sgraffiato. Ces deux premiers niveaux d’occupation sont contemporains de la
culture Dembeni pendant laquelle des petites communautés villageoises débutent la mise en valeur agricole de l’île.
Tesson de type sgraffiato (Golfe persique), Xe-XIe siècle. Acoua Agnala M'kiri, photographie M.Pauly 2008.
Le niveau ultérieur est celui de la construction du rempart: il s’agit d’un mur maçonné de 70 cm de large construit à l’aide de blocs de basalte liés par un
solide mortier de chaux. Un prélèvement de charbon piégé dans ce mortier nous a fourni par datation RC14 son époque de construction, la fin du XIIe siècle. Alors que les tessons
de la phase culturelle archaïque sont présents uniquement à l’extrémité sud du site (là où se regroupait l’habitat jusqu’au XIIIe siècle), le rempart du XIIe siècle délimite déjà une plus vaste
étendue de quatre hectares. Il est fort probable qu’il ait été construit initialement pour protéger le village mais aussi pour offrir une protection aux troupeaux réunis dans ce vaste enclos.
Un seul passage permettant son franchissement a été reconnu à l’extrémité sud du site, et offrait un accès à la plage (il sera fouillé lors de la campagne de fouille de 2011). Il est pour
l’heure le plus ancien témoignage d’ouvrage fortifié des Comores et permet de faire remonter au XIe siècle, l’existence d’un pouvoir local annonçant l’époque des chefferies.
Aperçu du rempart révélé par le déblais de la route, photographie M.Pauly 2008.
Le rempart, dans les couches ultérieures qui se poursuivent jusqu’à l’abandon du site, fait office de dépotoir et il est fort probable que dès le XIVe
siècle, des brèches réalisées de toutes parts assurent le passage vers des quartiers d’habitat établis à l’extérieur de l’enceinte.
À partir de la fin du XIIIe siècle, une nouvelle tradition culturelle apparaît dans la production céramique, caractérisée par l’abandon rapide des décors de
la période archaïque, et l’apparition de décors en relief (côtes ou boules) rajoutés sur la carène des récipients. Nous avons attribué à cette tradition culturelle le nom d’Acoua, bien
que H.T. Wright l’ait d’abord baptisée culture Kaweni initialement. Les niveaux datés du XIVe siècle voient la construction d’un édifice en pierre et corail, dont le plan
malheureusement tronqué par le déblais de la route et l’orientation plein nord de celui-ci rend probable son interprétation comme mosquée. L’un des murs, incendié, est associé à une couche de
cendre datée par analyse RC14 du XIVe siècle. Cet édifice a néanmoins eu une longue pérennité et n’a pas été recouvert, comme d’autres, par des constructions ultérieures. Les niveaux comportant
de la céramique du XIVe siècle ont aussi livré des structures d’habitat, l’une en végétal sur sol en terre battue, associée à un petit four domestique à sole demi-circulaire et à paroi en
torchis, une seconde habitation plus tardive présente des soubassements maçonnés pour ses murs pignons et un sol intérieur surélevé par une épaisse couche de sable tandis que des constructions
plus légères avec poteaux en bois l’environnaient. Un second bâtiment en pierre, fouillé qu’en partie, existait non loin avant d’être intégré aux constructions de la phase suivante.
Vestiges du XIVe siècle: De gauche à droite: arases d'une probable mosquée, angle d'une habitation, four domestique à sole demi-circulaire. Photographies M.Pauly 2006 et 2008.
Céramiques locales caractéristiques du XIVe siècle
(tradition Acoua), comportant des décors en relief, côtes ou boules ainsi qu'une double rangée d'impressions ponctiformes à la base du col.
À partir du XVe siècle, la physionomie du quartier change radicalement avec l’usage plus systématique des techniques de construction en pierre: deux vastes
enclos familiaux maçonnés sont construits sans que leur plan ne tienne réellement compte de l’implantation antérieure des anciennes habitations. Ces changements accompagnent l’apparition d’une
nouvelle tradition culturelle dans la céramique, la tradition Chingoni, qui se substitue à la tradition Acoua. L’espace délimité par ces enclos maçonnés se structure autour
d’une cour intérieure autour de laquelle des bâtiments tantôt en pierre, tantôt en végétal s’organisent. Un grand soin est apporté à une salle d’honneur où sont réalisées des banquettes
maçonnées (baraza). Une fosse à chaux, directement placée dans l’une des cours a fourni aux maçons la chaux nécessaire à la réalisation des mortiers. Les arases des habitations du XIVe
siècle, tout comme les rochers naturels présents sur la parcelle n’ont pas été utilisés lors de la construction, les maçons préférant ensevelir ces vestiges (par superstition?) sous une couche
de remblais.
Aperçu de la fouille d'une grande habitation de la phase Chingoni (XVe-XVIIe siècle). On distingue sur
cette photographie les maçonneries des fondations de plusieurs petites pièces. Photographie M.Pauly 2008.
La phase suivante d’occupation voit l’amélioration du confort de ces demeures avec l’aménagement d’ailes nobles d’habitation dans chacune des deux
habitations, caractérisées à chaque fois par une enfilade de petites pièces et de réduits étroits. L’une de ces pièces comportait un sol enduit de mortier de chaux tandis qu’une salle
d’ablution ou latrines était aménagée à l’emplacement de la fosse à chaux dont la cavité avait été conservée. L’oxydation de son sol de terre battue nous ayant indiqué la présence d’eau en
cette petite pièce. Ces ailes nobles d’habitation portaient une toiture plate en terrasse composée de blocs taillés de corail, employés ici pour leur légèreté sur un probable solivage en bois
de palétuvier fixé par de long clous forgés. Chaque mur était recouvert d’une ou deux couches d’un enduit à base de chaux et de sable tandis que les ouvertures étaient décorées de chanfreins
comme les angles encore conservés des tombeaux shirazi de Tsingoni, datés du XVIe siècle. Appuyés à l’extérieur contre chacun des deux enclos familiaux, deux coffrages maçonnés rectangulaires à
la manière de bassins mais sans fond, recouverts d’un enduit de chaux, sont interprétés comme étant des sépultures maçonnées bien que les fosses sépulcrales n’aient pu être fouillées. Outre des
tessons, le mobilier archéologique de cette phase d’occupation se traduit par des fusaïoles employées pour le filage, des disques d’oreilles taillés dans des vertèbres de poisson et une petite
perle en pâte de verre rouge brillante d'origine indienne.
De gauche à droite: céramique locale du XVIe siècle: carène striée et col recouvert d'un engobe noir, trois
exemples de fusaïoles (lestes à fuseaux). Photographies M.Pauly 2006-2008
De gauche à droite: clous forgés de charpente, polissoir, disques d'oreilles en vertèbre de poisson et pied de
tablette à Mtsinzano en corail.
L’ultime phase d’occupation, la plus récente, est caractérisée par des traces de constructions précaires et des dépotoirs sur les ruines de ces anciennes
demeures. Les tessons de céramique de cette phase d’abandon sont comparables aux sites mahorais de la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle (Soulou, Mtsamboro). Aucun tesson de la phase
culturelle tardive Tsoundzou ou Polé n’y a été découvert.
De la fouille à la restitution:
Le relevé des vestiges archéologiques et
leur analyse permettent de reconnaître les phases successives d'occupation et de proposer une restitution. Les vestiges
d’Acoua sont très arasés (les élévations sont conservées sur moins d’un mètre au-dessus des massifs de fondation). La restitution des anciennes élévations, d’un intérêt scientifique, pédagogique et esthétique, s’élabore à
l’aide “d’outils”:
•la comparaison avec des édifices conservés (notamment dans les îles des Comores);
•l’apport de la documentation ancienne;
•la logique du projet architectural (tracé régulier, proportion, distribution, etc.);
•le respect des règles liées aux
contraintes techniques;
•l’anastylose (étude des éléments d’architecture (tels les enduits) en
vue de restituer ouvertures, plafonds, etc.).
On considérera les reconstitutions, non comme offrant une
interprétation définitive, mais comme des hypothèses provisoires visant à suggérer une vision
raisonnable au plus près de la réalité.