Aperçu de la zone de fouille (Copyright Jérome Mathey 2013)
Cette opération s’intègre dans une démarche pluriannuelle de fouilles programmées débutées en 2005 visant à documenter les sites archéologiques de la commune d’Acoua, au Nord-Ouest de la Grande terre. Après plusieurs campagnes de fouille sur l’ancien village d’Agnala M’kiri (2005, 2006, 2007-2008, 2011-2012), l’effort est aujourd’hui porté sur le site d’Antsiraka Boira (inventorié depuis 2005), notamment sur une zone à forte concentration de sépultures. Ces recherches supervisées par Martial Pauly et financées par la préfecture de Mayotte, s’intègrent dans les problématiques plus larges de la connaissance des réseaux d’échange de l’océan Indien médiéval, les migrations humaines dans le canal du Mozambique et les grandes évolutions culturelles connues par ces sociétés médiévales (notamment les problématiques liées à la diffusion de l’islam et la reconnaissance d'éventuelles pratiques funéraires pré-islamiques).
Bilan de l'opération
L’opération de Mai 2013 a confirmé l’intérêt du site d’Antsiraka Boira pour l’étude des pratiques funéraires et plus globalement pour la connaissance de la société médiévale mahoraise des XIIe-XIIIe siècles.
La première sépulture d’adulte étudiée sur ce site (SP 08) livre une moisson de renseignements inédits qui enrichissent notre connaissance de l’islamisation de la Grande Terre. Alors que les sépultures d'enfants étudiées en 2012 présentaient des inhumations répondant au rituel musulman (avec toutefois la présence atypique de parures de perles), le squelette d'adulte étudié présente de nombreux désordres taphonomiques indiquant une décomposition du défunt dans un espace non colmaté (ou vide).
Plusieurs hypothèses sont avancées, mais ces désordres pourraient s'expliquer par l'inhumation d'un corps déjà largement décharné. Ce squelette disposé en décubitus dorsal (sur le dos), avait délicatement posé dans sa main droite une fusaïole et portait un long collier de cou en perles indo-pacifiques ainsi qu'une ceinture de perles en nacre de provenance africaine. Ce traitement particulier du corps du défunt fait écho aux rituels funéraires décrits à la côte Ouest de Madagascar (pays sakalave). Seul le crâne (déplacé à vingt centimètres du corps) disposé de telle sorte que le défunt ait la face tournée vers le Nord (en direction de la Mecque) indique une préoccupation nouvelle dictée par l'islam, comme l'atteste également en surface l'architecture funéraire qui reprend en tout point l'architecture funéraire musulmane telle qu'elle est observée sur les sépultures musulmanes de l'océan Indien.
Ainsi, pour la première fois à Mayotte, des rituels funéraires non musulmans sont reconnus pour l’époque médiévale. Jusqu'à présent, les rites funéraires n'étaient documentés sur l'île que par la nécropole de Bagamoyo (Petite Terre), et celle-ci n’avait livré pour les IXe-XIVe siècles que des sépultures de rite musulman.
Détail des parures accompagnant le défunt (à gauche: perles en nacre, à droite: perles en pâte de verre indo-pacifiques et en nacre).
Ce syncrétisme religieux entre rite funéraire pré-islamique probablement malgache et rite funéraire musulman témoigne des premiers temps de l’islamisation de la population en Grande Terre sous l’influence de marins islamisés avec lesquels cette population était en contact comme l’atteste la profusion d’objets importés (plus de 5000 perles à l’heure actuelle).
C’est une occasion rare et exceptionnelle où l’archéologie parvient à cibler le moment exact où une population adopte de nouveaux rituels avec l'adoption de l'islam. À ce titre, les découvertes d’Antsiraka Boira nous renseignent à l’échelle de l’océan Indien occidental sur les processus culturels accompagnant l'islamisation d'une société dont les anciens rites pré-islamiques commencent seulement à être appréhendés par l’archéologie.
Ces découvertes soulèvent avec encore plus d'acuité la question de l’islamisation en Grande Terre durant la période précédente dite de «Dembéni» (IXe-XIIe siècle). Ce site éponyme majeur, étudié depuis la fin des années 1970, et dont la fouille a repris cette année 2013 sous la direction de Stéphane Pradines n’a pas encore livré de preuves de l’acceptation de l’islam alors que paradoxalement, ce site témoigne de contacts déjà intenses avec les régions islamisées (Golfe persique, Afrique swahilie) dès le IXe siècle.
Lien vers l'album photo de la campagne de fouille de Mai 2013
Remerciements: à Clotilde Kasten, directrice du Service des Affaires Culturelles / Préfecture, Édouard Jacquot, Conservateur de l’Archéologie / DAC-OI pour leur soutien à cette opération.
Responsable scientifique et technique de l’opération: Martial Pauly, archéologue / SHAM
Conseillers scientifiques: Patrice Courtaud (anthropologue PACEA / CNRS), Claude Allibert (INALCO-CROIMA).
Suivi: Édouard Jacquot, Conservateur de l’Archéologie (DAC-OI)
Participants salariés (mission du SRA/DAC-OI mai 2013)
Marine Ferrandis (anthropologue/DAC-OI), Morgane Legros (doctorante en archéologie), Georges Lemaire (SRA/DAC-OI)
Étudiant stagiaire en archéologie:
Arthur Leck (étudiant en Licence d’archéologie / Paris-1)
Bénévoles (SHAM):
Brigitte Baconnier (proviseure adjointe, lycée de Mamoudzou), Doulhikifli Ahamed (lycéen), Hanessati Soufou (étudiante), Assinani Kassim (étudiante), Arnaud Lebossé (enseignant), Céline Leroy (enseignante), Djamila Madi (étudiante), Madi Ounaïda (étudiante), Said-Djibril Madi-Tchama (étudiant), Robert Manceau (enseignant), Limouandjilati Ymamou (étudiante).