À toutes les époques de l'histoire de Mayotte, la baie de Longoni, de l'actuel port de Longoni à Bandraboua, offre un abri sûr aux navires de passage. Son nom même, "ulingoni" signifie en langue bantoue, "le lieu de l'échelle", par allusion au débarquement des marchandises depuis les bateaux échoués à marée basse sur ses plages. D'importantes cités commerçantes de Madagascar portaient d'ailleurs ce nom: langany dans la baie de Mahajamba au Nord de Majenga, que les auteurs arabes du XVe siècle appellent "lulangani". Il n'est d'ailleurs pas impossible que le grand port médiéval de Mahilaka portait ce nom avant son abandon au XIVe siècle. Pierre Vérin, en titrant sa thèse "les échelles anciennes de commerce sur les côtes Nord de Madagascar" en 1975, était particulièrement bien inspiré, ayant compris que les ports de Madagascar et des Comores étaient connectés aux cités commerçantes d'Afrique de l'Est, et, tels une série de jalons incontournables, ces ports composaient une véritable "échelle" poussant toujours plus loin vers le sud, le réseau commercial de l'Océan indien occidental.
Cette partie du littoral de Mayotte offre une concentration intéressante de sites archéologiques pré-coloniaux: un village fortifié à Mitseni, des ruines de mosquées (Mitseni, Mazamoni, Maouéni et Dzoumonyé), des arrières mangroves avec tessons éparpillés. Si l'on adjoint à cette liste les sites du littoral de Kangani à Majicavo, ce secteur présente trois sites fortifiés ainsi que deux sites de "hauteurs" qui sous-entendent l'existence d'anciennes chefferies. C'est également là où la plus ancienne présence humaine à Mayotte a été reconnue: sur le site côtier de Koungou (VIIIe siècle). Enfin, dernièrement j'ai rencontré, baie de Longoni, un éparpillement de tessons renvoyant aux époques les plus anciennes du peuplement de l'île.
À gauche: une partie des tessons récoltés fin août 2011.
En haut: deux des tessons récoltés baie de Longoni.
Si le second, avec ses motifs géométriques hachurés est représentatif de la culture bantoue "TIW" (Triangular Incised Ware) présents sur d'autres sites de Mayotte (Liszkowski 2008, Allibert 2009) et plus généralement des Comores (Chanudet 1989, Wright 1984), le premier présente de très grandes similitudes avec la tradition bantoue plus ancienne "EIW" (Early Iron Working) comme définie par l'archéologue Tanzanien Félix Chami (1992).
Les sites de tradition EIW identifiés par F.Chami se situent dans les régions côtières de Tanzanie et du Kenya. Ici, à gauche, quelques tessons de tradition "Limbo", provenant de sites archéologiques du delta de la rivière Rufiji, en Tanzanie.(Chami 1998). Des perles associées et attribuées par F.Chami au monde méditerranéen gréco-romain semble fournir une datation du début du premier millénaire pour cette culture. Il est alors tentant de reconnaître en ces sites côtiers de la rivière Rufiji, le port antique de Rhapta, cité par les auteurs gréco-romains tel l'anonyme du Périple de la Mer Erythrée (IIe siècle).
Ces découvertes apportent une profondeur historique nouvelle aux établissements anciens de la baie de Longoni. et bien sûr à Mayotte. Si les recherches de F.Chami ne font cependant pas consensus parmi les chercheurs, notamment pour les chronologies avancées, la présence d'éventuels tessons de tradition EIW à Longoni pourrait être comprise comme une preuve d'une présence humaine africaine à Mayotte dès la première moitié du Ier millénaire de notre ère.
Comment l'expliquer? On sait par les sources écrites gréco-romaines (Allibert 2009), que le commerce méditerranéen connut l’Afrique de l’Est (Azania) fréquentée jusqu’à Rhapta (actuel delta de la Rufiji), et que l’écaille de tortue était la principale marchandise échangée auprès de ces populations africaines de la côte. La région du canal du Mozambique et ses îles (Mare Prasodis), étaient réputées pour la capture des tortues. Il est alors tout à fait envisageable d’interpréter la présence de tesson EIW à Mayotte, comme le témoignage de ces installations, certainement saisonnières à l’origine, puis permanentes, de ces pêcheurs bantous venus capturer les tortues marines dans la première moitié du Ier millénaire de notre ère, afin d’alimenter le commerce en écaille, ainsi qu’en ambre gris, des comptoirs d’Azania.
M.Pauly
Bibliographie:
ALLIBERT Claude: 2009 «Peut-il y avoir une occupation pré-dembénienne à Mayotte?» Taarifa n°1 (Archives Départementales de Mayotte), pp.17-30.
CHAMI Félix A. : 1992 «Limbo: Early Iron-working in south-eastern Tanzania», Azania XXVII pp.45-52.
1998 «The 1996 Archaeological Reconnaissance North of the Rufiji Delta», Nyame Akuma n°49, pp. 62-78.
2010 «Archaeological research in Comores between 2007 to 2009» , Civilisations des mondes insulaires, Karthala, pp.811-823.
CHANUDET Claude: 1989: Contribution à l’étude du peuplement de l’île de Mohéli, Paris 676p.
LISZKOWSKI Henri D.: 2008: «Les Bantous, premiers occupants de Mayotte?» Univers Maore, n°8, pp.42-48.
VERIN Pierre: 1975 Les échelles anciennes de commerce sur les côtes nord de Madagascar, Université de Lille 3, 2 vol. 1016 p.
WRIGHT Henry T. : 1984 «Early Seafarers of the Comoro Islands: the Dembeni Phase of the IXth-Xth Centuries AD», AZANIA XIX, pp.13-59.