Tsingoni, à la côte ouest de Mayotte, fut, au XVIe-XVIIIe siècle, la capitale du sultanat de Mayotte. On sait qu’en tant que telle, elle était entourée d’un rempart, possédait un palais et un tissu urbain de type médina bien qu’aucune opération archéologique n’ait pu à ce jour en confirmer les traces. Seules la mosquée royale ainsi que quelques tombes vénérables nous témoignent de cette époque et constituent, à ce titre, les vestiges les plus remarquables du sultanat shirazi à Mayotte. Encore en activité aujourd’hui, cette mosquée, si elle n’est pas la plus ancienne de Mayotte, est néanmoins la plus ancienne mosquée de France en activité.
La mosquée a été considérablement remaniée depuis le XIXe siècle à l’image de l’extension actuelle qui a supplanté le patio réalisé dans les années 1980. Il est toutefois possible de recueillir des indices pour restituer l’aspect initial de l’édifice. Le retrait de maçonnerie et l’inclinaison du mur oriental et la présence d’un pilier dans la salle de prière apportent la preuve qu’initialement, la mosquée était couverte d’une toiture plate ou en terrasse dont l’accès se faisait par l’extérieur par l’intermédiaire d’un petit escalier engagé dans les maçonneries du mihrab (niche de la qibla, mur donnant l’orientation de la Mecque).
Globalement, toute la moitié sud-ouest de l’édifice est une reconstruction postérieure aux années 1860, le reste, dont le mihrab, datant de la première moitié du XVIe siècle.
Son plan initial, peu éloigné de son aspect actuel, reprend les caractéristiques des mosquées anciennes de Mayotte et plus généralement de l’aire culturelle swahili: une salle de prière encadrée par deux couloirs latéraux. La toiture en terrasse devait permettre la récupération des eaux de pluie pour alimenter une citerne placée jadis au sud de l’édifice, dans l’actuelle extension réservée aux femmes.
Les ablutions se pratiquaient déjà à l’ouest de l’édifice où se situent les portes de la mosquée, côté village.
Les murs sont massifs, d’une épaisseur remarquable s’expliquant par la nécessité de supporter le poids de la terrasse. La salle de prière est éclairée, au dessus du minbar (escalier de prêche) par une ouverture carrée tandis que les couloirs latéraux sont éclairés par des ouvertures ogivales. Seule la porte nord est d’origine, elle est surmontée d’un arc cissoïde outrepassé et l’on peut encore voir, côté intérieur, des éléments en bois encastrés (crapaudines) en haut de part et d’autre de l’ouverture, et servant de gonds aux portes initiales.
Le pilier conservé dans la salle de prière appartenait à une rangée de trois ou quatre piliers, à base et chapiteau cubique mais avec un fut de section octogonale, typiques de l’architecture swahili. Ces piliers portaient des architraves sur lesquelles étaient posées les solives supportant la terrasse en pierre.
Proposition de restitution des élévations de la mosquée (coupe transversale de la salle de prière) selon l'état du XVIe siècle.
Le mihrab est par sa décoration l’élément le plus remarquable de l’édifice. Il est composé de blocs de corail sculptés (porites) intégrés au mur de la qibla, suggérant ainsi l’existence d’une mosquée initiale remaniée lors de la réalisation du mihrab en 1538. Cette hypothèse de l’existence d’une mosquée initiale est renforcée par les écrits de Piri Reis qui cite dès 1521 l’existence à «Chinkoni» de sheiks chaféites. De plus, l’ouverture carrée qui éclaire le minbar a un aspect plus rustique que les ouvertures ogivales des couloirs latéraux et témoignerait de ce premier édifice.
La baie du mihrab est surmontée d’un arc trèflé et d’un arc cissoïde, tandis que des moulures plates et torsadées rythment sa façade et l’intérieur de la niche. Des caissons portent des décors géométriques étoilés que l’on aperçoit malgré l’épaisse couche de peinture. Peut-être selon l’ancienne tradition musulmane utilisant la métaphore «porte du ciel» pour désigner le mihrab. Une voûte coffrée et cannelurée en « cul de four » coiffe la niche.
Deux inscriptions sont scellées dans chaque piédroit du mihrab et commémorent sa réalisation sous le règne du sultan Issa/Ali ben Mohamed, en 944 de l’Hégire (le 14 avril 1538 exactement). À cette date, Tsingoni est devenue la capitale des sultans de Mayotte.
À noter que le mihrab de Tsingoni est très proche de celui de la mosquée shirazi de Domoni (Anjouan) ou encore de celui aujourd'hui ruiné de la mosquée shirazi de Sima. Cette parenté s'explique par une chronologie de réalisation similaire: le mihrab de Domoni étant attribué au sultan Mohamed ben Hassan, le père du sultan Ali/Issa ben Mohamed.
Mihrab de Domoni (Anjouan), photo M.Pauly 2006.
Les mausolées situés à l’extérieur présentent un grand intérêt: ils datent vraisemblablement du XVIe siècle et sont apparentés aux sépultures à dôme de l’archipel de Lamu (Kenya). Ils se présentent comme une habitation en miniature, la toiture pyramidale couverte en végétal est suggérée par du corail laissé brut. Les murs sont décorés d’incrustations de bols et il semble (d’après Gevrey 1870) que le tombeau d’Issa/Ali aujourd’hui remanié et situé près de l’entrée nord, était percé d’ouvertures trèflées. Il est possible de pénétrer dans chaque mausolées par une petite porte surmontée d’un arc cissoïde. On distingue alors à l’intérieur une voûte coffrée en arrête (la trame de la natte ayant servi au coffrage se distingue assez nettement).
Malheureusement, l'entretien de ce patrimoine n'est pas à la hauteur de son importance et l'intérieur des tombeaux est un véritable dépotoir.
De gauche à droite: détails des mausolées: porte à arc cissoïde, exemple de bol incrusté dans les maçonneries, voûte intérieure, tombeau remanié du sultan Issa/Ali ben Mohamed. Photos, M.Pauly 2007.
Liens vers d'autres articles évoquant Tsingoni:
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Tsingoni, l'ancienne capitale des sultans de Mayotte
Les causes de l'effondrement de la civilisation classique à Mayotte, 1680-1820
Martial Pauly