Au XVIe siècle, Mayotte est une île peuplée, devenue un sultanat depuis la fin du XVe siècle, sa capitale, Tsingoni n’a rien à envier aux autres villes de l’archipel. Sa mosquée, achevée en 1538 est la réplique de celle de Domoni, la capitale du sultan d’Anjouan. L’aristocratie locale prospère du commerce régional entre l’Afrique et Madagascar en voyant transiter tissus indiens, riz malgache et esclaves. Des bourgs prospères se développent, où derrières de vieux remparts, les notables résident dans de grandes demeures en pierre. De nombreux villages participent à la mise en valeur agricole de l’île réputée pour l’abondance de ses productions. Lorsque la flotte portugaise de Baltazar Lobo da Suza débarque à Mayotte en 1557, il y est estimée la population à près de 12 000 habitants. Voici le tableau que l’on peut dresser pour Mayotte durant l’époque classique, pourtant, près de trois cents ans plus tard, lorsque l’administration française effectue le premier recensement de population, elle ne dénombre que quelques milliers d’habitants à Mayotte, principalement regroupés sur Petite Terre.
Les troubles et l’insécurité ont plongé la population de l’époque dans un grand dénouement. Son dernier sultan, Adriantsouli est très éloigné de la splendeur des sultans du passé qui faisaient l’admiration des navigateurs européens de passage, vêtus de riches étoffes de soie à la mode des «Turcs» (d'après Davis, qui visite Mayotte, certainement Mtsamboro, en 1599). Il semble admis depuis les écrits de Gevrey et du Cadi Omar Aboubacar que les razzias malgaches soient responsables de cet effondrement démographique, ayant rendu l‘île exsangue par la capture massive de sa population dans le but d’alimenter la traite des esclaves. Cet effondrement démographique est aussi accompagné d’un effondrement de la civilisation: villes et villages vont être abandonnés de leurs habitants, à commencer par les plus aisés cherchant ailleurs une protection, la construction en pierre disparaît et l’île autrefois si fertile se couvre de friches. Pourtant d’autres îles des Comores, tel Anjouan et Ngazidja, qui ont durement soufferts des attaques malgaches,n’ont pas connu un effondrement de la civilisation comme à Mayotte. Seule Mohéli partage ce même destin. C’est donc que d’autres causes plus anciennes sont à envisager pour expliquer ce déclin, que l’archéologie elle-même observe dès la fin du XVIIe siècle. En effet, dès cette époque des villages très prospères aux siècles précédents, où l’aristocratie locale vivait dans des grandes demeures en pierre sont abandonnés soit près d’un siècle avant le début des razzias malgaches. Les luttes intestines pour le pouvoir à l’intérieur même de l’aristocratie mahoraise puis les interventions militaires anjouanaises qui bien avant l’époque des razzias malgaches vont accabler l’île de pillages et de destructions tout au long du XVIIIe siècle sont, à l’évidence, les véritables causes de l’effondrement de la civilisation classique à Mayotte.
luttes pour le pouvoir et incursions de pirates à Mayotte: les troubles de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle.
L’étude historique de la succession des règnes du sultanat de Mayotte n’est pas aisée: les principales sources sont les lignages généalogiques fournis par le Cadi Omar Aboubacar et celle de la chronique du Cheik Mkadara, et ne se recoupent pas toujours entre elles. Gevrey ( Essai sur les Comores 1870) a relevé une liste de sultans à laquelle il a fourni un début de chronologie approximative mais bien souvent erronée. Ces sources, confrontées aux rares témoignages contemporains transmis par les relations de voyage européennes (la plupart publiées par A. et G. Grandidier, dans les volumes de la Collection d'ouvrages anciens sur Madagascar, entre 1903 et 1912) permettent de situer certains règnes et parfois apportent des renseignements très précieux.
Dès le XVIIe siècle, Mayotte connaît des crises de succession, on apprend ainsi qu’en 1643, le roi Ali avait été assassiné puis que son fils Omar était parvenu à lui succéder (d'après les Factories de Forster, cité par Anne Sauvaget, 1994, Documents anciens sur les îles Comores 1591-1810, et Claude Allibert 2000, la chronique de Said Ahmed Zaki, Anjouan dans l'histoire p76). Son règne ne semble pas avoir connu d’autres épisodes de violence et s’achève vers 1680. Il est même admis que cette fin de règne marque un terme à la prospérité de l’île: le siècle qui suit étant caractérisé par des troubles. L’île voit les escales européennes décroître.
Au sultan Omar succède son fils Ali, qui à en croire le très controversé Defoe (alias capitaine Johnson, "Histoire générale des pirates"subit l’attaque de Tsingoni en 1701 par le pirate Nathaniel North et le meurtre de son fils, le prince Hussein.
Puis jusqu’aux années 1740, plusieurs souverains se succèdent, tous issus de branches rivales descendant du sultan Omar. C’est finalement Salim, fils d’une fille du sultan Omar et d’un noble Anjouanais Mogné Fani, qui s’empare du pouvoir après avoir détrôné son oncle Abubacar (d’après Gevrey). Le sultan d’Anjouan, Salim dit «la grenade du paradis» ne semble pas être étranger à cette succession et aurait pu envoyer des troupes soutenir le parti de Salim, dans l’idée d’imposer sa suzeraineté sur le sultanat de Mayotte. Ainsi, les sultans d’Anjouan vont pour plusieurs décennies prétendre à la suzeraineté sur l’île de Mayotte.
interventions anjouanaises vers 1740-1791
Salim, s’il semble effectivement accepter un temps l’allégeance au sultan d'Anjouan à qui il doit son installation au pouvoir, ne la reconduit pas sous le règne de son successeur, Said Ahmed. Ce dernier n’aura de cesse tout au long de son règne d’intervenir à Mayotte pour s’y imposer, ce que ni Salim, ni son successeur Bwana Combo n’accepteront. Or, vers 1750, un événement va «consommer la rupture entre les deux îles» (Cadi Omar Abubacar). Parce que, Salim, le sultan de Mayotte refuse de partager le butin issu du naufrage d’un navire européen avec Ahmed, souverain d’Anjouan. Celui-ci envoie une expédition militaire contre Mayotte. Le commandement de l’expédition est confié à Ouaziri Housseni, gouverneur de Mutsamudu. Comme souvent par la suite, face au débarquement anjouanais les Mahorais préférèrent dans un premier temps se replier au Mont Combani et les villes et villages furent pillés. Mais après une contre attaque mahoraise, l’armée anjouanaise fut mise en déroute près de Tsingoni et un bon nombre furent massacrés: le chef de l’expédition anjouanaise, Ouaziri Housseni fut lui-même tué et enterré au lieu-dit Zidacani.
En 1783, d'après la relation de William Jones (cité par J.C. Hébert, 1998, Mayotte au XVIIIe siècle, Archives orales, cahiers 4 et 5), le sultan Ahmed d’Anjouan affirme détenir, depuis deux ans, deux villes à Mayotte où il tient des garnisons. Il s’agit, bien qu’elles ne soient pas citées, de Tsingoni, la capitale, et probablement Mtsamboro, les principales localités de la côte ouest de Mayotte. Et il est à supposer que dès cette époque, le sultan de Mayotte (Bwana Combo ou déjà son successeur Salim?) se soit réfugiés à Petite Terre comme cela sera le cas en 1791.
Avant 1783, Ahmed affirmait au voyageur Grose, en 1758, qu'il détenait la souveraineté sur Mayotte mais était-ce réellement le cas?
Ses garnisons à Mayotte durent être délogées car en 1791, deux expéditions accompagnées de traitants français (la première accompagnée du capitaine Lablache, la seconde du capitaine Péron, la plus détaillée grâce aux mémoires de ce capitaine publiées en 1824) visent à rétablir la souveraineté d’Anjouan sur Mayotte. En échange de l’aide des capitaines, le sultan Ahmed et son fils, le prince Sélim, leurs promettent plusieurs centaines de captifs pris sur les prisonniers de guerre espérés.
La première, relatée par le capitaine Lablache n’est pas un succès, la seconde relatée par le Capitaine Péron avec fort de détails échoue après 6 semaines de rapines et de pillages dans les environs de Tsingoni. Cette expédition s’était achevée par une déroute anjouanaise à Pamandzi Keli sur Petite Terre. Cette victoire mahoraise a-t-elle contribué à renforcer l’autorité de Salim, quoiqu’il en soit, il succède à Bwana Combo après sa mort et décide d’établir la capitale sur le rocher de Dzaoudzi, jugé plus sûr après l’expérience des deux incursions anjouanaises de 1791.
En conclusion, Il est certain que ces violences cumulées entraînèrent la ruine et l’abandon de nombreuses localités mises à sac à commencer par la capitale Tsingoni. Le cadi Omar, très proche du sultan d'Anjouan à qui il offrit sa chronique fit probablement passé comme «malgaches», des exactions commises par les troupes anjouanaises plusieurs années plus tôt. Ainsi donc, lorsque débutent les razzias malgaches en 1794 pour Anjouan, probablement vers 1800 pour Mayotte, le sultanat est déjà replié sur Dzaoudzi et la Grande Terre, bien éprouvée par un siècle de troubles et d’insécurité, est dépeuplée et en friche, la plupart de ses villages abandonnés.
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