Le site archéologique d’Antsiraka Boira, sur la pointe Kahirimtrou, entre Acoua et Mtsangadoua, est selon la tradition orale un lieu hanté par les esprits. Un sondage archéologique, réalisé entre septembre et décembre 2012, y a mis au jour une nécropole du XIIe siècle.
Un cimetière d’enfants
Six sépultures ont été fouillées, toutes d'enfant. L’orientation de ces sépultures varie, de sud/nord à sud-ouest/nord-est. L’architecture funéraire conservée se présente sous la forme de pierres dressées en quinconce délimitant un petit enclos rectangulaire. Du gravillon corallien, prélevé sur le proche littoral, est répandu à l’intérieur de cet enclos. Des petits tridacna (bénitier) remplis de ce gravillon, sont laissés en surface, probablement en offrande. Des tessons de céramique médiévale de production locale (décorée d’impressions de coquillage erythraeonensis ou de motifs en chevrons) ont été retrouvés à proximité. Le remplissage de la fosse sépulcrale peut présenter à nouveau une couche de gravillons coralliens, des tessons de poteries et toujours au niveau des pieds du défunt, une pierre plate et un galet. Sur six sépultures identifiées lors de ce sondage, trois présentaient une décomposition totale du corps (sépultures 02, 04 et 06), seules les dents étant conservées (tête au nord). Sur les trois autres, la position du corps présentait les mêmes caractéristiques avec un défunt disposé sur le dos sur un léger lit de sable ou de gravillons coralliens, tête — parfois posée sur un coussin en matériaux périssables — tournée vers la droite, les bras dépliés le long du corps, jambe droite légèrement fléchie pour rejoindre la jambe gauche au niveau des chevilles. Seul un individu (sépulture 03) présentait une position latérale sur le côté droit avec le bras droit le long du visage.
Des inhumations avec parure de perles
À l’exception des sépultures 03 et 06, tous les défunts étaient accompagnés d'une parure de perles. Il s’agit de perles en pâte de verre retrouvées au niveau du bassin ou du cou. Cela laisse penser qu'elles étaient respectivement brodées sur un pagne ou enfilées sur un collier.
Un disque en corail poli, retrouvé au niveau du lobe de l’oreille du crâne de la sépulture 03 pourrait être un disque d’oreille. Des perles semblables ont été retrouvées sur d’autres sites archéologiques d’Afrique de l’Est, datant de la fin du XIe siècle et du XIIe siècle. En rapportant cette chronologie relative à Mayotte, les perles trouvées à Antsiraka Boira permettent de dater la nécropole médiévale d'Acoua autour des années 1100 à 1200.
Des sépultures d’inspiration musulmane
La construction des tombes, ainsi que la position des corps, correspondent au rite funéraire musulman. Néanmoins, l’orientation de ces inhumations et la présence de parure sont très atypiques. Il s’agirait donc ici d’un rite funéraire d’inspiration musulmane témoignant de l’islamisation progressive des élites de Mayotte au cours du XIIe siècle. Cette chronologie, attribuée par les données archéologiques aux XIe-XIIe siècles, rejoint celle donnée par les sources historiques comme les écrits du géographe arabe Al-Idrisi au XIIe siècle selon lesquels les élites de l'archipel des Comores étaient alors musulmanes.
Des perles originaires d’Afrique et du Sud-Est asiatique
C’est au total 2 700 perles qui ont été découvertes dans quatre sépultures d'Antsiraka Boira. Il s’agit de perles en coquillage et en pâte de verre de forme sphérique irrégulière, ou parfois enroulées. La nécropole d’Acoua fournit des perles en pâte de verre de couleurs variées: noires, jaunes, beiges, bleu turquoise et rouges témoignant de la diversité des zones d’approvisionnement. Hormis les perles en coquillage qui proviennent d’Afrique de l’Est où des sites de production sont connus au Kenya, les perles en pâte de verre ont toutes une origine indo-pacifique : elles étaient produites au sud-est de l’Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande et en Indonésie. Ces perles produites en grandes quantités étaient destinées à l’exportation vers l’Afrique d’où leur nom de “trade wind beads” (grains de mousson). Les marchands arabes et peut-être austronésiens les acheminaient jusqu’au Canal du Mozambique où elles étaient appréciées cousues sur les pagnes.
Une découverte rare en contexte funéraire
Le site d'Acoua, Antsiraka Boira, constitue une des principales découvertes archéologiques de perles de l’océan Indien occidental. Les tombes musulmanes étudiées en Afrique de l’Est fournissent rarement du mobilier funéraire. Hormis cette nouvelle découverte à Mayotte, seule la nécropole musulmane de Vohémar (XIIIe-XVIIe siècles), au nord-est de Madagascar, fournit des perles en contexte funéraire. La présence de tels objets dans les sépultures témoigne d’une application non stricte du rituel d’inhumation musulman, comme le révèlent également les variations de l’orientation des corps des défunts qui ne sont pas tournés vers La Mecque, et encourage à interpréter ces vestiges archéologiques comme témoins des débuts de l’islamisation.
Responsable des opérations Martial Pauly / Société d’histoire et d’archéologie de Mayotte (SHAM) Conseils scientifiques Claude Allibert / CROIMA / INALCO, Patrice Courtaud / PACEA / CNRS Stéphane Pradines / Université Aga Khan Contrôle scientifique et technique Édouard Jacquot / Direction des affaires culturelles / DAC-OI.
Remerciements Thomas Degos / Préfet de Mayotte, Clotilde Kasten / directrice des affaires culturelles, Céline Deroin / adjointe de la directrice des affaires culturelles / Préfecture de Mayotte.