Ces dernières années, d’importantes découvertes archéologiques obtenues au Nord de Madagascar par l’équipe du professeur Dewar (décédé cette année 2013) ont permis de faire remonter au deuxième, voire troisième millénaire avant notre ère l’occupation humaine à Madagascar. Ces découvertes qui aujourd’hui permettent d’entrevoir l’existence d’un mode de vie de chasseurs-cueilleurs ayant précédé pendant plusieurs millénaires les premières communautés agricoles posent en corolaire la question d’un peuplement de l’archipel des Comores à ces hautes époques, cet archipel étant la voie de passage privilégiée pour atteindre la Grande Île depuis la côte africaine.
L’abri sous roche de Lakaton’i Anja dans les gorges d’Andavakoera (région d’Antsiranana /Diego-Suarez) avait déjà permis dans les années 1980, de mettre en évidence des niveaux archéologiques datés du IIIe/VIe siècle après J-C, faisant de cet abri sous roche le plus ancien site archéologique de Madagascar. Une nouvelle campagne de fouille menée en 2011 par cette équipe (Dewar 2013) a mis en évidence sous les niveaux d’occupation médiévale (11e-14e siècles), un niveau archéologique présentant de l’outillage lithique daté de 1460/2370 avant J-C. par analyse RC14 de charbons associés. Sans que le hiatus dans la chronologie entre ces deux phases d’occupation soit expliqué, cette nouvelle datation repousse de plusieurs millénaires l’occupation humaine à Madagascar. Une autre campagne de fouille à Ambohiposa, également sur un abri-sous roche proche de Iharana (Vohémar) a également prouvé l’usage d’outils lithiques en obsidienne pour une occupation datée autour de l’An Mil.
Dewar: 2013, outillage lithique de Lakaton'i Anja
Ces découvertes, qui complètent celles en 2010 faites par l’équipe de Gommery (Gommery et al. 2011) dans les grottes d’Anjohibé (Nord de Majunga) d’ossements d’hippopotames nains portant des traces de découpe et datés de 2500 avant J-C, confirment l’existence à Madagascar d’un mode de vie de chasseurs/cueilleurs qui se serait maintenu jusque vers l’An Mil au moment du développement des premières sociétés agricoles de l’âge du fer.
Ces nouvelles données archéologiques modifient d’emblée l’interprétation traditionnelle qui était avancée jusque là et qui présentait Madagascar, autour de l’An Mil, comme un vaste jardin d’Éden, vierge de toute intervention humaine qui au moment du développement des premières communautés agricoles (culture du riz et déboisement pour le pâturage des zébus) aurait été suivi d’une extinction brutale de la faune endémique de Madagascar lors de la destruction des biotopes. Cette extinction, qui s’est déroulée principalement entre l’An Mil et 1600, aurait selon ces dernières découvertes débutées bien avant la fin du premier millénaire, et ne serait pas le seul fait des communautés agricoles. Loin d’être un phénomène brutal, celle-ci se serait échelonnée sur plusieurs millénaires. Parmi les espèces animales éteintes, les plus célèbres sont le grand ratite æpyornis, ou oiseau-éléphant (une variété d’autruche de 500 kg!), l’hippopotame nain de Madagascar ou les grands lémuriens (archeolémurs), ou plus généralement, toutes les espèces diurnes de plus de 10 kg.
Ces découvertes appellent néanmoins à la prudence car hormis une culture matérielle qui se résume à des microlithes laissés par ces chasseurs-cueilleurs, on ne sait encore rien de l’origine de ces populations. Toutefois, de telles découvertes posent comme corollaire la question de l’origine de ces populations, capables d’atteindre Madagascar il y a plus de 4000 ans! Si on laisse de côté l’hypothèse de naufragés Égyptiens au moment des explorations du pays de Punt, ou encore de Phéniciens réalisant la première circumnavigation africaine comme le conte Hérodote, une origine africaine de ces populations demeure assurément la plus probable. Il s’agirait alors de populations d’Afrique orientale pré-bantoues compte tenu de la chronologie de cette migration. Dans ce scénario, l’archipel des Comores, idéalement situé entre l’Afrique et Madagascar serait l’une des voies employées par ces populations pour atteindre le rivage malgache.
Il est donc envisageable d'émettre l'hypothèse de l'existence dans l'archipel des Comores de tels sites archéologiques, témoins de ces anciennes migrations vers Madagascar.
Avant toute chose, une constatation évidente s'impose: contrairement à Madagascar, l’archipel des Comores n’offre pas de faune, au delà des ressources halieutiques, rendant possible un mode de vie de chasseurs-cueilleurs: toute la faune terrestre chassée (tenrec, lémurien) ou récoltée (escargots achatina) ont été introduits à la fin du premier millénaire depuis Madagascar. La flore endémique est également très limitée, les plantes consommées actuellement ayant toutes été introduites à partir de la fin du premier millénaire.
Si une présence a pu exister à ces hautes époques, on peut supposer qu’elle privilégia donc les abords de plages où l’accès aux ressources halieutiques était aisé (s’ajoute la possibilité de capturer des tortues la nuit au moment de la ponte sur les plages). Malheureusement, ce type d’implantation côtière est peu propice à la préservation de vestiges archéologiques qui sont généralement détruits par l’érosion marine elle-même accentuée par la montée du niveau marin consécutif à l’affaissement de ces îles volcaniques. Aussi, il n’existe pas, à l’heure actuelle dans l’archipel des Comores, de site archéologique antérieur à l’an 800 de notre ère.
Le Professeur Chami, en Grande Comore, sur le site de Malé et à Anjouan dans la grotte de Bazimini a certes mis en évidence de l’outillage lithique mais trop tôt interprété comme appartenant à des époques très reculées (les dates de 2000, voire 4000 avant notre ère ayant été avancées à l’époque dans les médias!). Les datations RC14 obtenues s’avèrent dater pour les plus anciennes de l’époque médiévale (fin du premier millénaire). Toutefois, ces éléments confirment que là encore, en parallèle de la technologie du fer, l’outillage lithique était employé aux Comores (Chami 2011). Nous-même à Acoua, en 2011, dans des niveaux biens datés des XIIe-XIVe siècles, nous avons identifié de l’outillage lithique varié: lames de couteau, grattoirs, pierres à aiguiser... (Pauly 2012).
À gauche: outillage lithique de la grotte de Malé (Grande Comore), Chami 2011,
À droite: outillage lithique découvert à Acoua dans des niveaux des XIIIe-XIVe siècles, Pauly 2012.
Ces données archéologiques, confirment, comme à Madagascar, que les sociétés comoriennes médiévales employaient également de l’outillage lithique en parallèle de l’outillage en fer. Il faudra garder ce fait culturel à l’esprit pour ne plus à l’avenir sur-interpréter la découverte d’outillage lithique comme étant la preuve d’une occupation préhistorique!
En conclusion, il n’est donc pas possible aujourd’hui de confirmer pour l’archipel des Comores une occupation humaine qui serait tout aussi ancienne que celle mise en évidence à Madagascar. Si de tels sites existent, ils sont encore à découvrir et à exploiter avec prudence quant à leur interprétation. Cependant, ces récentes découvertes réalisées à Madagascar rendent toutefois plausible la possibilité d'un peuplement saisonnier ou d'escale aux Comores avant la fin du premier millénaire.
Félix Chami 2010 « Archaeological research in Comores between 2007 to 2009 », Civilisations des mondes insulaires, volume d’hommage au professeur Claude Allibert, Inalco Paris, Karthala Éd., pp. 811-823.
Robert E. Dewar et al. «Stone tools and foraging in northern Madagascar challenge Holocene extinction models», Proceedings of Academy of Sciences, Université du Michigan.
Dominique Gommery et al., 2011 «Les plus anciennes traces d’activités anthropiques de Madagascar sur des ossements d’hippopotames subfossiles d’Anjohibe (Province de Mahajanga)», Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, Palevol 10.
Martial Pauly 2012 Acoua, Agnala M’kiri, rapport de fouille archéologique, opération mai-décembre 2011. Rapport, SHAM. Mamoudzou, Préfecture de Mayotte / DAC. 76 p.
commenter cet article …