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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 18:17

Parmi les objets importés à Mayotte durant l’époque médiévale puis moderne, les réalisations en chloritoschiste sont assez répandues sur les sites archéologiques. Le chloritoschiste ou stéatite est une roche métamorphique, de couleur gris-bleu ou gris-vert. Assez tendre, il se prête bien à la la taille et la sculpture. Ce matériau résiste aussi très bien à la chaleur, c’est pourquoi depuis l’antiquité, il a été employé comme pierre ollaire pour confectionner des marmites.

 

chloritoshiste MtsangamoujiÀ gauche: fragment de récipients en chloritoschiste (bord de marmite et bord de couvercle). Site de Mtsangamouji-Hadsalé, photo M.Pauly 2006.

 

Origine

Les sites archéologiques de la péninsule arabique et du Sinaï livrent des objets en chloritoschiste depuis la haute antiquité, en provenance de la vallée de la Timna (désert du Negev). La technologie de façonnage des marmites en stéatite à l’aide d’un tour, observée pour les productions en chloritoschiste de Madagascar, semble avoir cette origine moyen-orientale. Au sud-ouest de l’océan Indien, la côte nord-est de Madagascar possède les principaux gisements de chloritoschiste, mais il en existe aussi au Zimbabwe ou des objets dans cette matière ont été retrouvés dans le complexe du Great Zimbawe comme le célèbre oiseau du Zimbawe. Les objets en chloritoschiste découverts aux Comores et à la côte africaine swahilie ont, quant à eux, assurément une origine malgache, car bien qu’une analyse pétrographique de comparaison n’ait pas encore été effectuée, la comparaison stylistique permet de s’en assurer. La diffusion du chloritoschiste malgache permet de mesurer l’intégration de la côte Est malgache au réseau commercial appelé couloir swahili (Horton 1996) qu’il convient d’appeler également couloir bantou-austronésien ou swahili-malgache (Allibert 1998), puisque ce réseau commercial se prolonge largement jusqu'à Madagascar via l’archipel des Comores.

 

Suse-chloritoschisteUngujaUkuu Chloritoschiste

À gauche: récipient en chloritoschiste, Suse, VIIIe/Xe siècle, Louvre, département "Arts de l'Islam",

À droite: fragment de récipient en chloritoschiste avec décors à la roue similaires, retrouvé à Zanzibar, site de Unguja Ukuu (500-900 EC). (Juma Abduhraman 2004:146)

Une filiation directe de la technique de façonnage d'objets en chloritoschiste apparaît ici nettement entre le Golfe persique et l'Afrique orientale.

Carte Océan Indien médiéval.001

Le Nord-Est de Madagascar est rapidement intégré dans le réseau d'échange longue distance, notamment par l'exportation d'objets en chloritoshiste mais aussi du quartz hyalin d'une grande pureté, dont la demande est orientée par les ateliers de l'Égypte fatimide.

 

L’évolution de la production des récipients en chloritoschistes suggère deux grandes phases stylistiques. La plus ancienne offre des récipients à fond plat et présente un décor déjà caractéristique composé de cannelures horizontales. Cette typologie se rencontre, dès les IXe-XIIIe siècles, dans les premiers établissements de la rivière Mananara, de la baie d’Antongil (Fanony et Wright 1992) ainsi que plus au nord, au sud-est de Diego Suarez (Antsiranana), dans la localité d’Irodo (Battistini et Vérin, 1966). récipient chloritoschisteUne typologie similaire est présente sur les sites Bords de marmites en chloritoschiste Dembenicomoriens médiévaux de la période Dembeni (IXe-XIe), ce qui ne permet pas de douter de l’origine malgache de ces productions. Ces sites, notamment Dembeni à Mayotte, livrent également du quartz hyalin lui-même originaire du Nord-Est de Madagascar. Au IXe siècle, les réseaux commerciaux entre Madagascar, les Comores et l’Afrique de l’Est sont donc déjà particulièrement bien actifs.

À partir du XIIIe siècle, et jusqu’au XVIIe siècle, l’exportation du chloritoschiste s’effectue par le comptoir musulman de Vohémar et sa proche région. Ses productions sont connues principalement grâce au mobilier funéraire exhumé de sa nécropole tout au long du XXe siècle (Vernier et Millot 1971). Ces récipients, plus tardifs, sont tournés et présentent un fond arrondi, et généralement, trois pieds dans le prolongement du bord droit. L’emploi du tour pour leur façonnage (technique ignorée des productions céramiques locales!) suggère une filiation moyen-orientale. En Afrique de l’Est, les sites de KIlwa (Chittick ,1974) et de Manda (Chittick, 1984) livrent des objets en chloritoschiste qu’après 1050, mais c’est surtout lors des phases des XVe-XVIIe siècles où ces objets sont bien représentés. Durant ces phases tardives, on reconnaît les caractéristiques stylistiques des productions de Vohémar, notamment l’existence de trois pieds pour les marmites.

 

À droite: fragments de bords de marmites en chloritoschiste (Dembeni, Mayotte, IXe-XIIe siècle).

 

La nécropole de Vohémar XIIIe-XVIIe siècle.

Vohémar marmite tripode chloritoschiste-copie-1La nécropole est de loin la partie la mieux connue de cette ancienne localité. Les islamisés qui vécurent dans cette région de Madagascar sont attribués à la culture Rasikajy.

 

Les premières fouilles débutèrent en 1906 (par Maurein, receveur des postes à Vohémar, et dont la collection d’objets funéraires a été donnée au musée de Nîmes, celle-ci fut étudiée par Pierre Vérin (Vérin, 1971). D’autres «précurseurs» explorèrent ce site, souvent motivés par la quête d’objets rares, rarement avec rigueur scientifique.

C’est en 1941, 42 et 43 que débuta la première campagne de fouille de grande ampleur,  lors des missions du pasteur Élie Vernier et l’administrateur P. Gaudebout. Charles Poirier y mena également une fouille en 1948, suivie d’une prospection de Jacques Millot. Enfin 1955, puis en 1962, E. Vernier et S. Raharijaona y menèrent une dernière campagne d’étude. En 1971, Elie Vernier et Jacques Millot, publièrent un catalogue des collections de Vohémar (catalogue du Musée de l’Homme) d’où sont tirées les illustrations en noir et blanc présentées ici.

 

Les marmites en chloritoschiste de Vohémar ont toutes été trouvées dans un Vohémar marmite à couverclecontexte funéraire, placées au pied du défunt après un repas funéraire, comme semble le témoigner les restes alimentaires décelés à l’intérieur. Cet usage strictement funéraire ne peut cependant pas être généralisé: d’une part parce que l’ancienne ville de Vohémar n’est pas connue (seule la nécropole ayant fait l’objet de fouilles archéologiques) et qu'il est manifeste que les défunts étaient enterrés avec leur effets les plus précieux (armes, miroirs en bronze persans, vaisselle chinoise...) signe que ces objets avaient une valeur importante aux yeux de leur détenteur, et par là inscrits dans la vie quotidienne. D’autre part, aux Comores et en Afrique de l’Est, les fragments de marmites en chloritoschiste sont présents parmi les rejets courants des dépotoirs ce qui souligne leur usage domestique (comme récipients de prestige, voire comme monnaie d’échange, ayant assurément une valeur pour son possesseur puisque certaines pièces présentent des trous pour des agrafes de réparation). L’usage de ces récipients, comme baquet à trempe, lors des opérations métallurgiques a été envisagé à Dembeni (Allibert 2002). Enfin, il est aussi envisagé que ces récipients pouvaient servir à collecter les sanies des cadavres lors de l’exposition des corps, comme il est de coutume à la côte Ouest de Madagascar lors des funérailles des élites sakalaves (Allibert 2002).

 

En haut: exemplaires de marmites tripodes provenant de la nécropole de Vohémar, photographie Elie Vernier & Jacques Millot, 1971.


Grâce à la mission Vernier et Gaudebout de 1941, les techniques d’extraction du chloritoschiste et les techniques de façonnage sont bien connues: d’anciens gisements ont été repérés dans la région voisine de Vohémar: à Amboaimoay des rochers en chloritoschiste présentent une taille en cylindre d’une vingtaine à une trentaine de centimètres de diamètre.

 

P.Gaudebout 1941carrières de Amboaimoay

 

De cette matière première cylindrique, une ébauche de deux marmites était réalisée par soucis d’économie de matière. Après avoir été désolidarisées, ces marmites étaient travaillées au tour pour réaliser le décor extérieur, caractéristique avec ses cannelures concentriques. L’intérieur était ensuite évidé. Ces marmites comportent généralement un couvercle réalisé selon les mêmes techniques.

 

ébauche1 couvercle ébauche

En haut: ébauches de marmites et couvercle en chloritoschiste (Vohémar, atelier de taille, mission Decary ?, et Gaudebout-Vernier 1941).

 

La découverte à Pemba sur le site de Mtambwe Mkuu (Horton 1996) de nombreux résidus de taille indique que pour faciliter le transport de ces récipients sur de longues distances, des exemplaires non achevés pouvaient ainsi être exportés (cela n’est pas observé ni à Mahilaka -à la côte Nord-ouest de Madagascar- (Radimilahy 1998) ni aux Comores où seul le réemploi de fragments de marmites en chloritoschiste transformés en pierre à aiguiser, fusaïole et peson de filet est attesté).

 

 

 

chloritoschiste Acoua, niveaux XIVe sièclepierre à aiguiser Dembenifusaiole-copie-1.jpg

De gauche à droite:

-forme cônique décorée d'une incision horizontale (ébauche de bouton central de couvercle?), provenant d'Acoua, quartier des notables, niveau  XIVe-XVe siècle. Un fragment de bouchon de couvercle identique a été découvert sur le site de Kangani (Liszkowski 2000)

-fragment de marmite réemployé comme pierre à aiguiser, provenant de Dembeni (Xe-XIIe siècle).

-fragment de bord de marmite retaillé en fusaïole, provenant de Dembeni (IXe-XIIe siècle).

Photographies M.Pauly 

 

Dzaoudzi, provenant du remplissage d'une sépultureCouvercle de Dzaoudzitesson malgache (côte Est) trouvé à Acoua, niveaux XIVe

Objets d'origine malgache découverts récemment à Mayotte, photographie M.Pauly 2011.  

De gauche à droite:  

-fragment de marmite en chloritoschiste provenant du remplissage d'une sépulture musulmane de Dzaoudzi (fouille 2011)

-couvercle en céramique d'inspiration vohémarienne, XVIIe-XVIIIe siècle, fouille de Dzaoudzi 2011.

-céramique à décor incisé caractéristique de la culture matérielle de la côte orientale de Madagascar: Acoua-Agnala M'kiri, niveaux du XIVe siècle, fouille 2011.

 

Diffusion du chloritoschiste en direction de l’Afrique de l’Est.

Cette diffusion se mesure par la fréquence de la présence de ces objets en chloritoschiste dans les sites archéologiques du Xe-XVIIe siècle. On observe un gradient s’amenuisant d’est en Ouest: Aux Comores, les sites de la période Dembeni (IXe-XIe siècle) livrent un mobilier important en chloritoschiste: marmites, pierre à aiguiser, fusaïoles... (Allibert & Argant 1989, pour Mayotte, Chanudet 1988 pour Mohéli, Wright 1984, pour l’ensemble de l’archipel), à Sima (île d’Anjouan), les restes d’un bassin aux ablutions en chloritoschiste est connu (Hébert 2000), et est fort similaire à un exemplaire cuve abandonnée, carrière d'Amboaimoayabandonné dans une des carrières d’Amboiamay (ci-contre) et se rattache donc à la culture rasikajy. L’importation de chloritoschiste se poursuit également aux Comores jusqu’au XVIIe siècle: À Mayotte, il est présent sur des sites occupés entre le XIIIe et XVIIIe siècle, mais en moindre quantité que sur les sites de Dembeni et Bagamoyo. En Tanzanie, à Kilwa (Chittick 1974), les marmites en chloritoshiste sont présentes à partir de la phase II (XIIe-XIIIe siècle) mais sont surtout représentées lors des phases IIIb et IV (15e-17e siècle). Au Kenya, à Manda, (Chittick 1984), les marmites en chloritoschiste sont présentes dans les niveaux ultérieurs à 1050, il n’existe pas de récipients avec pied avant le 15e siècle. Les marmites sont tournées seulement à partir du XIIIe siècle. Contrairement aux sites archéologiques de l’archipel de Lamu, le site de Gedi au Kenya ne présente aucun objet en chloritoschiste (Pradines 2010), signe d’affinités commerciales avec les Comores et Madagascar qui varient selon les cités commerçantes swahili. On peut supposer qu’avant le XIIIe siècle, ces récipients en chloritoschiste diffusés aux Comores et en Afrique de l’Est ont transité par Irodo ou la région de la rivière Mananara, puis qu'après le XIIIe siècle, son exportation est contrôlée par le comptoir islamique de Vohémar et sa proche région. Avec le déclin de Vohémar, la production de marmites en chloritoschiste décline puis disparaît au XVIIIe siècle.

 

En conclusion, si l'usage du chloritoschiste comme pierre ollaire a connu une longue pérennité entre les IXe et XVIIe siècles, trois phases de productions distinctes peuvent être envisagées pour l'océan Indien occidental:

- la période d'introduction de la technique en Afrique de l'Est avant le IXe siècle: elle se caractérise par des pièces décorées avec des motifs à la roue et présente une filiation directe avec les productions moyen-orientales. Seul le site de Unguja Ukuu à Zanzibar illustre actuellement cette phase de diffusion en Afrique orientale.

- la période des productions malgaches durant la période Dembéni (IXe-XIIe siècles), caractérisée par des récipients à fond plat, non tournés, mais dont la surface est lissée par abrasion. La région productrice se situe au niveau de la rivière Mananara à la côte Nord-Est de Madagascar, tandis que le site de Dembéni à Mayotte était le principal comptoir de redistribution pour ce produit en direction de l'Afrique orientale.

- la période de production vohémarienne (XIIIe-XVIIe siècles), où les récipients sont tournés, décorés de cannelures horizontales, et comportant des pieds (marmites tripodes). Vohémar est alors le principal comptoir exportant cette production. Cette production est également largement diffusée parmi les cités commerçantes swahili où elle est très bien représentée alors que les sites comoriens en fournissent des quantités moindre par comparaison avec la période Dembéni ce qui a amené certains chercheurs à envisager un déclin des exportations du chloritoschiste malgache à partir du XIIIe siècle. Cependant, des niveaux archéologiques du XIVe siècle (Acoua-Agnala M'kiri), ou plus tardif (Dzaoudzi) livrent des marmites en chloritoschistes de tradition vohémarienne.

 

Bibliographie:


Couverture Vernier et Millot 1971

Juma Abduhraman

2004: Unguja Ukuu, an archaeological study of early urbanism, Upsala thèse de doctorat, 198 p.

Allibert C.

1998, Compte-rendu de Mark Horton, Shanga, the Archaeology of a Muslim Trading Community on the Coast of Easy Africa , Londres, BIEA, 1996, dans Topoï Orient-Occident, n°8, fasc. I, pp. 477-486.

2002, «L’interdépendance de l’archéologie et de l’anthropologie culturelle dans l’océan Indien occidental. L’exemple de Mayotte», Études de l’Océan Indien, n°33-34, Paris-INALCO pp.11-31.

2007, Étienne de Flacourt, Histoire de la Grande île de Madagascar, INALCO Paris, Karthala, 713p.

 

Allibert C. & Argant A.et J.

1989, «le site archéologique de Dembeni (Mayotte, archipel des Comores)», Études de l’Océan Indien, n°11, Paris INALCO, pp.63-172.

 

Chanudet C.

1988, Contribution à l’étude du peuplement de l’île de Mohéli, thèse de 3e cycle, Paris, Inalco, 676 p.

 

Chittick N.

1974, Kilwa : an Islamic Trading City on the East African Coast, 2 vol., Nairobi, British Institute of East Africa, 514 p.

1984, Manda: Excavation at an Island Port on the Kenya Coast, Nairobi, BIEA, 258p.

 

Griffin W.D.

2009 The Matitanana Archaeological Project: Culture History and Social Complexity in the Seven Rivers Region of Southeastern Madagascar, Thèse, université du Michigan.

 

Horton M.

1996, Shanga, the Archaeology of a Muslim Trading Community on the Coast of Easy Africa , Londres, BIEA.

 

Hébert J.C.

2000 «Le bassin sacré du vieux Sima à Anjouan», Études Océan Indien (CEROI-INALCO), n° 29, pp. 121-163.

 

Liszkowski H.D.

2000 «Nouveaux éclairages sur l'histoire de Maore à partir de sites archéologiques inédits (Mtsamboro, Kangani, Misteni Hajangoua)»,dans L'extraordinaire et le quotidien. Variations anthropologiques. Hommage au professeur Pierre Vérin, Paris, Karthala, pp. 377-386.

Pradines S.

2010, Gedi, une cité portuaire swahilie, islam médiéval en Afrique orientale, IFAO 302 p.

 

Radimilahy C.
1998, Mahilaka : an archaeological investigation of an early town in northwestern Madagascar , Studies in African Archaeology (Uppsala), n° 15, 293 p.

 

Vernier E. Millot J.

1971, Archéologie malgache, comptoirs musulmans, catalogue du musée de l’Homme, Paris, 180p.

 

Vérin P.

1971, «Les collections de Vohémar», Taloha 4, Tananarive, musée d’art et d’archéologie pp.225-229.

 

Vérin P. et Battistini R.

1966 «Irodo et la tradition vohrmarienne». Revue de Madagascar 36: 17-32.

 

Wright H.T.

1984, « Early seafarers of the Comoro Islands: the Dembeni phase of the IXth-Xth centuries AD », Azania (Nairobi), n° 19, pp. 81-128.

 

Wright H.T. et Fanony F.

1992 «L'évolution des systèmes d'occupation des sols dans la vallée de la rivière Mananara au Nord-est de Madagascar», Allibert, C. (trans.), Taloha 11: 16-64.

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1 janvier 2012 7 01 /01 /janvier /2012 22:17

 

Jusqu'à la fouille archéologique de sauvetage réalisée en août 2011, on ne savait pas si l'îlot était habité avant le xixe siècle. C'est davantage sur le morne de Mirandole ou « Pamandzi Keli », où se fixèrent à partir du ixe siècle les premiers habitants de Petite Terre.

 

Tessons de tradition Hanyoundrou (antérieurs au XIIIe siècle) provenant des niveaux archéologiques les plus anciens étudiés à Dzaoudzi en 2011 (photos M. Pauly 2011):

tesson à arca tesson médiéval

 

 

Il faut attendre le règne de Salim (Saleh ibn Mohamed ibn Bechir el Monzari, régnant vers 1790-1807) pour que le rocher de Dzaoudzi abrite la capitale du sultanat après l'abandon de Tsingoni.

 

 

 

vue de Dzaoudzi par Lebreton       Aperçu de Dzaoudzi, gravure de Lebreton tirée du Magasin pittoresque de 1855 (collection particulière)

 

Les transformations de l'îlot à l'époque coloniale ont effacé les vestiges de l'époque antérieure. J.S Leigh, donne toutefois une description précise de Dzaoudzi en 1838, trois ans avant l'installation des Français :


Andriantsouli« Nous nous sommes approchés du village où réside Dansoul (Andriantsoly), roi de Mayotte ; ce village est construit sur une petite île allongée qui n’a pas plus d’un mille de circonférence. Chaque côté tombe à l’abrupt dans la mer excepté l’un d’entre eux défendu par une haute muraille et de petites tours carrées qui se prolongent et entourent l’île. Sa hauteur varie selon la difficulté ou la facilité d’accès. Trois portes sont verrouillées chaque nuit au crépuscule et les clefs sont remises au gouverneur sans la permission duquel personne de peut sortir ou rentrer. Nous avons été accueillis, à l’extérieur de la fortification, par un certain nombre d’habitants, un mélange de Sacalavoes, d’Antalouches (Malgaches musulmans), des Anjouanais, etc.
[...] Un énorme canon est placé sur le point culminant de l’île mais ne repose pas sur un affût. Il ne peut être déplacé. (...) La mosquée était la seule construction en pierre de la ville à côté des dix résidences du roi que j’ai vues. Elle était plutôt grande car elle faisait 40 pieds carrés. Les piliers étaient en bois et le toit fait de feuilles de cocotiers [...]. »

 

Avec la prise de possession de Mayotte par les Français en 1843, et le choix de conserver Dzaoudzi comme capitale administrative, la littérature coloniale et les plans sont plus abondants et nous permettent une meilleure connaissance du Dzaoudzi pré-colonial.

 

Le commandant Passot décrit Dzaoudzi en ces termes:

 

Cet îlot était recouvert d’une multitude de cases, servant de demeures à une population de huit à neuf cents habitants. Des rues étroites, tortueuses et malpropres; des tombes auprès de chaque habitation; quelques rares cocotiers et des herbes croissant partout, tel était le tableau que présentait la ville de Dzaoudzi.


Rapport du commandant Passot du 14 décembre 1868, CAOM MAD/251/558, cité dans «Dzaoudzi, une histoire contrastée, catalogue de l’exposition réalisée par les archives départementales de Mayotte, p.10,2005.

 

En 1844, un plan de Dzaoudzi est dressé comportant la localisation des remparts, de la mosquée du vendredi et du palais du sultan (pangahari). Nous en avons extrait les plans suivants:

 

Palais de Dzaoudzi 1843

Le pangahari (palais du sultan) est avec la mosquée l'une des rares constructions remarquables relevées par l'administration coloniale.

Il est construit pour l'essentiel en matériaux périssables (palissades en cocotier et cases en raphia), à l'exception du corps de bâtiment au nord, construit en pierres liées à la chaux, et faisant fonction de salle d'honneur et d'appartement du sultan.

 

Cet ensemble palatial est délimité par une palissade en cocotier inspirée des demeures royales sakalaves. L'accès se faisait au Nord-Ouest et au Sud à l'aide d'entrée en chicane caractéristique des entrée de shanza (cour traditionnelle).

Cette première cour délimitée par l'enclos palissadé était terminée au Sud par un second enclos domestique occupé par plusieurs habitations construites en végétal.

De rares cocotiers (points vert sur le plan) fournissaient un peu d'ombrage.

 

Une deuxième palissade délimitait un second espace servant d'habitation au sultan. On  y accédait par le Nord à l'aide d'une construction en pierre d'un seul niveau et à toiture plate. côté Nord, la façade de cet édifice est délimité par un baraza (banc-terrasse). Un escalier monumental permet d'accéder à la salle d'honneur. C'est là où le sultan recevait ses hôtes. Un lit occupait le fond de la pièce. Des petites cours servant d'aisances terminaient à l'Est la distribution des pièces de cet édifice. On accédait alors à un enclos domestique occupé par un édifice en matériaux périssable constituant un autre shanza.

Cet ensemble palatial est détruit en 1846 après le décès du sultan Andriantsouli.

 

 

                       Restitution du pangahari d'après le plan de 1844:

pangaharidzaoudzi

 

 

 

Mosquée de Dzaoudzi 1843

La mosquée du vendredi est un édifice dont les élévations sont pour partie en pierre (murs), et pour partie en végétal (murs pignons, toitures à deux pans, poteaux en bois).

Elle s'appuie sur la déclivité naturelle du terrain.

 

Son mihrab de plan demi-circulaire est caractéristique des mosquées tardives de Mayotte (comme par exemple celle de Mirandole située non loin). Il est surmonté, sur sa façade intérieur d'un arc ogival. Ses maçonneries sont protégées à l'extérieur par un débord de toiture appuyé sur une rangée de poteaux en bois.

 

À droite de l'entrée, on distingue un bassin aux ablutions alimenté en eau par un petit canal relié à un puits.

On peut observer que la mosquée a été remaniée et que ses couloirs latéraux furent abandonnés dans une deuxième phase, celui de gauche apparaît d'ailleurs nettement en ruine sur le relevé des élévations.

 

La mosquée est détruite en 1848 lors du déplacement du lieu de culte à Pamandzi.

 

Dzaoudzi précolonial légendé

                Plan vectorisé de Dzaoudzi d'après le plan de 1844:

1, mosquée du vendredi, 2 pangahari (palais du sultan), 3, chantier de la préfecture (août 2011) avec découverte fortuite d'un puits, habitat en végétal (mosquée de quartier?) et sépultures,  4, rempart percé de deux portes et défendu par des tours, 5, bâtiment colonial de 1844 existant encore aujourd'hui, 6, cimetière arabe.

 

 

comparaison Dzaoudzi 1843 à aujourd'hui

       Superposition du plan vectorisé de 1844 avec une image satellite de Dzaoudzi ( source google earth).

 

On découvre alors que le palais du sultan était localisé sous les actuels jardins de la résidence et l'ancienne résidence du gouverneur (dite Eiffel).  La mosquée du vendredi était localisée à l'ouest de la place de France, le puits visible encore aujourd'hui est vraisemblablement celui de cette mosquée. Les portes de l'enceinte fortifiée étaient situées à l'Est, sous la route venant du débarcadère de la barge passagers, à l'Ouest, face au bâtiment des douanes, quai Balou. Le cimetière était situé à la petite plage au départ du boulevard des crabes.

 

La fouille archéologique de 2011  (photos M. Pauly 2011)

puits

Un des puits déjà signalés au XIXe siècle:

 

"De l'eau fraîche pouvait être obtenue de puits à Dzaoudzi, dont certains étaient de quarante pieds de profondeur. Les habitants des lieux la buvaient sans danger, mais pas les Européens à qui elle donnait la dysenterie."

 

Rapport du 24 mars 1843 du capitaine John Marshall.

 

 

 

fosse à chaux

Fosse à chaux identifiée dans les niveaux tardifs (XVIIIe-début XIXe siècle), lors de la fouille de sauvetage:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une douzaine de sépultures de rite musulman ont été reconnues lors du sondage. Le défunt est allongé sur le côté (position en décubitus latéral droit), face au nord (en direction de la Mecque) avec une pierre sous la nuque. Des dépôts d'offrande accompagnaient également certaines sépultures (avec à droite, un couvercle remonté d'inspiration malgache ):

 

 

  sépulture dépôt funéraire couvercle remonté

 

Une fusaïole (niveaux XVIIe-XVIIIe siècle):

fusaïole

Parmi les objets du quotidien retrouvés lors de la fouille, cette fusaïole employée pour le filage, de la porcelaine chinoise (bleu et blanc) du XVIIe-XVIIIe siècle, des fragments de marmites malgaches en chloritoschiste. Des restes alimentaires (coquillages, ossements de tortue, de volaille). Les ossements de zébu étaient par contre totalement absents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie:

Claude Allibert, "le journal de J.S. Leigh (1836-1840) à bord du Kite", Études Océan Indien n° 27-28, pp.61-170, INALCO 1999.

Archives départementales de Mayotte, Dzaoudzi une histoire contrariée, 1843-1866, catalogue d'exposition, 46 p., 2005.

 

M.Pauly

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 13:49

L'apparition aux Comores d'une élite islamisée (appelée à Mayotte kabayla lorsqu’elle revendique des ancêtres arabes prestigieux, Mungwana, lorsqu’il s’agit d’hommes libres islamisés) se distinguant du reste de la population par un mode de vie arabe (ustaarabu) qui se traduit notamment dans l'architecture domestique par l'usage de la pierre, est un trait culturel majeur des Comores que l'archéologie a permis de dater des XIVe et XVe siècles, tant à Anjouan (Wright 1992), qu'à Mohéli (Chanudet 1988) ou à Mayotte (Pauly 2010).Ce processus de formation des élites n'est pas propre aux Comores, on le retrouve pour la même période à la côte orientale de l'Afrique swahili, berceau de ces évolutions socio-culturelles, impulsées dès le Xe siècle par l'installation de migrants chiites originaires du Golfe persique (Horton 1996, Pradines 2009) et à la côte Nord-Ouest et Nord-Est de Madagascar, notamment à Mahilaka (Radimilahy 1998) puis au delà du XIVe siècle dans les échelles de Langany, Kangany et de Vohémar (Vérin 1975). 

Aux Comores, et particulièrement à Mayotte, durant la période dite de la "civilisation Dembeni" (IXe-XIe siècle), il n'est pas observé à l'intérieur des localités de cette époque à Sima (Anjouan), Mwali Mjini (Mohéli), Mbashile (Grande Comore) où à Dembeni (Mayotte), une distinction sociale marquée tant dans l'habitat que dans la culture matérielle appréhendée par la dispersion homogène des tessons d'importation, Wright (1984). Pourtant, si l'on conçoit l'usage exclusif dans l'habitat de techniques de constructions employant des matériaux périssables (l'architecture en pierre se développant aux Comores qu'après le XIe siècle), il est tout à fait possible d'envisager l'existence de demeures aristocratiques, se distinguant des autres habitations, mais non encore révélées par l'archéologie du fait de la faiblesse des explorations archéologiques effectuées sur ces sites. L'existence à Mayotte et à Anjouan d’autres sites archéologiques contemporains beaucoup plus pauvres en objet d'importation semble indiquer à l'évidence une hiérarchie entre ces localités, et probablement l'existence d'une élite dès cette époque contrôlant chaque île depuis une capitale.

 Contrairement à Anjouan (Sima) ou à Mohéli (site de Mwali Mjini), Mayotte connaît à partir du XIIe siècle une redistribution complète de ses lieux de pouvoirs caractérisée par le déclin et l'abandon du site de Dembeni suivis de l'apparition d'une dizaine de villages fortifiés tout autour de l'île, entre le XIIe et XVe siècle. La coïncidence entre l'effondrement de la civilisation Dembeni et l'apparition, dans ces premiers villages, d’enclos urbain conduit à envisager que l'effondrement politique de Dembeni (première capitale de Mayotte??) a été suivi par l'apparition des premières chefferies indépendantes, et dont la mémoire a été conservée dans les traditions locales. 

Il est alors intéressant de comprendre quels ont été les facteurs qui ont contribué à la formation de ces élites durant l’époque des chefferies à Mayotte, ou comment à partir de simples petites communautés à vocation rurale, peu tournées vers le grand commerce alors capté par le site de Dembeni, se sont développés ces pouvoirs locaux qui sont à l'origine de la formation de chefferies connues au XVe siècle sous le nom de chefferies fani. La fouille menée à Acoua entre 2005 et 2008 avait mis en relief l'apparition au XIVe-XVe siècle d'un quartier d'habitation aristocratique en pierre avec processus d’urbanisation mettant en valeur le passage d’une architecture en matériaux périssables à une architecture domestique en pierre (Pauly 2010). La fouille de 2011, axée sur l'enclos urbain d'Acoua  appréhende une occupation  principalement située entre le XIIe-XIVe siècle et a apporté un nouvel éclairage sur cette question. Les premières phases d'occupation à Acoua (datées par analyses RC14, des Xe-XIIe siècles) donnent l'image d'une très petite communauté rurale, blottie à l'extrémité sud du promontoire où se développera aux siècles suivants la cité d'Acoua-Agnala M'kiri.

Belle zébu(te)La consommation alimentaire appréhendée par les rejets retrouvés à la fouille du dépotoir est dominée par les ressources halieutiques (coquillages, poissons, crabe et tortues de mer), complétées par la consommation de volaille et de tanrec (hérisson). Il en est tout autre dans les niveaux ultérieurs où les ossements de petit bétail (ovin et caprin) sont mieux représentés. Les ossements de zébu, de la même manière, absents des premiers niveaux d’occupation, sont de plus en plus nombreux dans les niveaux ultérieurs, leur quantité augmentant significativement dans les niveaux du XIVe-XVe siècle. Ces évolutions de la consommation alimentaire, de plus en plus carnée, est éventuellement le signe de changement de pratiques alimentaires: l'usage de bétail pour la production laitière (ou de sang?) supplanté par une consommation privilégiant la viande expliqueraient l'augmentation des quantités d'ossements parmi les rejets alimentaires. Mais il nous paraît plus probable que ces évolutions fournissent ici une indication chronologique de première importance pour pointer l’époque de l'introduction du zébu (originaire d’Afrique) et du pastoralisme qu'il faut mettre en perspective avec la construction de l'enclos urbain d'Acoua.

La construction du rempart d'Acoua, formant une boucle d'un kilomètre de longueur pose d'emblée un problème chronologique: si sa construction est encore à déterminer (entre le XIe et XIIIe siècle), la surface défendue est beaucoup plus vaste que l'étendue du village à cette période, étendue déterminée par la dispersion de la céramique de tradition Hanyoundrou. Une seule porte à cet ouvrage maçonné a d’ailleurs été reconnue, à l'extrémité sud du site, à proximité de la zone d'habitat. Il conviendrait d'envisager ainsi cet ouvrage comme étant initialement un enclos pastoral destiné à la protection des troupeaux. Il faut mesurer quel fut l'impact du pastoralisme sur l’organisation du territoire villageois: les espaces agricoles, dédiés notamment à la culture du riz pluvial (paddy) ne se concilient pas avec l'élevage bovin. Son introduction nécessita donc la mise en valeur de nouveaux terroirs au détriment de zones forestières transformées en pâture. Des conflits d’usage entre zone agricole et zone de pâture purent exister. De même, on imagine sans peine les querelles entre villages lorsque des troupeaux laissés libres pouvaient ravager les cultures. La propriété de troupeaux et particulièrement de zébus implique certainement, dans ces communautés rurales égalitaires, une mutation de la société puisqu’elle contribua certainement à l’émergence d’une première distinction sociale. Encore aujourd'hui, le zébu est un animal thésaurisé, permettant de mesurer la fortune de son propriétaire. Il est certain que l'introduction du zébu contribua à donner naissance à une élite, par accumulation de cheptel. L'enclos pastoral révèle les rivalités naissantes entre ces villages: le vol de zébus étant suffisamment répandu pour motiver la construction d'importants enclos pastoraux en pierre.

 

parc à zébus

Enclos pastoral à Madagascar, "voyage à Madagascar", Le Tour du Monde 1894, Coll. privée, M.Pauly.

 

Les traditions comoriennes recueillies par Sophie Blanchy (2010) associent le plus souvent l'arrivée du zébu aux Comores avec l'islamisation des élites (le partage d'un zébu lors de cérémonies politico-religieuses est un thème récurrent perpétué sous le sultanat, Blanchy 1997, Allibert 2000). Il est certain que ces processus: constitution de cheptel par une classe dirigeante naissante et islamisation des élites vont de paire pour expliquer la formation de lignages aristocratiques qui conforteront leur position sociale dominante par la participation aux échanges commerciaux régionaux.

M.Pauly

 Bibliographie:

C. Allibert,

 2000, « La chronique d’Anjouan par Saïd Ahmed Zaki », Études Océan Indien (Ceroi-Inalco), n° 29, pp. 7-92.

S. Blanchy,

1997, «Note sur le rituel d’intronisation des souverains de Mayotte et l’ancien ordre politico-religieux», Études Océan Indien (Ceroi-Inalco), n°21, pp.107-129.

2010, «Mythes et rites à Ngazidja, Comores. Origines du peuplement et construction culturelle» Archéologie, histoire et anthropologie des mondes insulaires. Volume d’hommage au professeur Claude Allibert, INALCO Paris, Karthala pp.211-239.

C. Chanudet,

1988, Contribution à l’étude du peuplement de l’île de Mohéli, thèse de 3e cycle, Paris, Inalco, 676 p.

M. Horton,

1996, Shanga, the Archeology of a Muslim Trading Community on the Coast of East Africa, Londres, British Institute of East Africa, 458 p.

M. Pauly,

2010,  «Développement de l’architecture domestique en pierre à Mayotte, XIIIe-XVIIe siècle»,  Archéologie, histoire et anthropologie des mondes insulaires. Volume d’hommage au professeur Claude Allibert, INALCO Paris, Karthala pp. 603-631.

S. Pradines,

2009, «L’île de Sanjé ya Kati (Kilwa, Tanzanie): un mythe Shirâzi bien réel», Azania: Archaeological Research in Africa, Vol. 41, No. 1, 2009, pp.1-25.

C. Radimilahy,

1998, Mahilaka : an archaeological investigation of an early town in northwestern Madagascar ,  Studies in African Archaeology (Uppsala), n° 15, 293 p.

P. Vérin, 1975,

Les échelles anciennes de commerce sur les côtes nord de Madagascar, thèse d’état, 2 t., Lille, service de Reproduction des thèses, 1028 p.

H.T. Wright,

1984, « Early seafarers of the Comoro Islands: the Dembeni phase of the IXth-Xth centuries AD », Azania (Nairobi), n° 19, pp. 81-128.

1992,

« Nzwani and the Comoros », Azania (Nairobi), n° 27, pp. 81-128.


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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 18:14

Braun Quiloa Kilwa 1572Gardien des archives de Lisbonne durant de longues années, Jao de Barros est le plus réputé des historiens du XVIe siècle, ayant eu accès à des documents de première main, sur lesquels il basa son oeuvre, De Asia,  parue en 1552.
Le récit de l’expédition de Dom Francisco D’Almeida en 1505 décrit la soumission du sultanat de Kilwa au royaume du Portugal et inclue une Chronique des rois de Kilwa. C’est un texte majeur pour la connaissance historique de Kilwa, que complète un second manuscrit arabe daté des années 1520 et dont une copie du XIXe siècle est conservée au British Museum (Ms 2666) dont Freeman-Grenville fournit la traduction en anglais (G.S.P. Freeman Grenville, 1962, The east african coast pp 34-49).  La version présentée ici est celle que Guillain a publiée en 1845, à partir du De Asia de Barros (M.Guillain, 1845, Documents sur l’histoire, la géographie et le commerce de l’Afrique orientale, tome 1, pp.211-215).
L’examen de la chronologie fournie  par ces chroniques placerait la fondation de Kilwa, par un prince shirazi au Xe siècle. L’étude archéologique du site (principalement par Neville Chittick), ne remet pas fondamentalement en cause la chronologie des règnes, confirmée notamment par la numismatique.
Kilwa est devenu, au XIIIe-XVe siècle, la principale cité-commerçante de l’Afrique de l’Est swahili. Le sultanat de Kilwa, après avoir évincé au XIIIe siècle ses concurrents régionaux -la localité de Sanga, Xanga ou Shagh selon les sources (aujourd’hui Sanjé ya Kati, d'après Stéphane Pradines, 2009, "l'île de Sanjé ya Kati (Kilwa, Tanzanie): un mythe shirâzi bien réel" Azania, vol 41, pp.49-73)- était parvenu à contrôler le commerce de l’or provenant de l’intérieur du Mozambique (pays des Limiins cité par Ibn Battutah en 1331) en étendant sa domination de Sofala (littoral du Mozambique) à l’île de Mafia. Même si les preuves sont limitées -la chronique d’Abdou Latwif (1898) cite explicitement l’arrivée en Grande Comore d’une princesse shirazi originaire de Kilwa, (B.A.Damir, G.Boulinier & P.Ottino, 1985, Tradition d’une lignée royale des Comores, p99), ce qui rejoint la mention, au XIIIe siècle d'ibn Said, selon laquelle une île au volcan, située à l'est de Kilwa (la Grande Comore) serait sous la dépendance de Kilwa (cité par Guillain, 1845, p269)- il n’est pas impossible que les Comores et le Nord-Ouest de Madagascar en reçurent l’influence politique: les nombreuses crises politiques et usurpations connues par ce sultanat purent en effet s’accompagner de l’exil de certains princes shirazi de Kilwa aux Comores où ils donnèrent naissance aux sultanats shirazi comoriens. 
Son déclin ne s’amorce qu’avec l’irruption Portugaise dans l’Océan indien: en 1502, Vasco de Gama, lors de son deuxième voyage en Inde obtient la soumission du sultan de Kilwa au royaume du Portugal. Mais la cité est mise à sac en 1505 par D’Almeida en représailles au refus du sultan de Kilwa de payer son tribut au Portugal.

 

portrait Barros

«Un peu plus de soixante-dix ans après la fondation de Moguedchou et de Braoua, à peu près vers l'an 400 de l'hégire, régnait à Shiraz, ville du golfe Persique, un roi maure nommé Sultan-Hhacen, qui laissa après lui sept fils. L'un de ceux-ci, nommé Ali, était peu considéré par ses frères, parce qu'il était fils d'une esclave abyssinienne, tandis que leur mère, à eux, était d'une noble famille et issue des princes de Perse. Mais Ali suppléait à la bassesse de sa naissance par la supériorité de sa sagesse et de son mérite personnel. Pour se soustraire au mépris et aux mauvais traitements de ses frères, il résolut d'aller chercher dans une nouvelle patrie une destinée meilleure que celle qui lui était échue parmi les siens. Emmenant sa femme, ses fils, toute sa famille et quelques autres individus qui voulurent s'associer à son entreprise, il s'embarqua, dans l'île d'Hormouz, sur deux navires, et se dirigea sur la côte du Zanguebar, dont la renommée vantait les riches mines d’or. Il aborda successivement à Moguedchou et à Braoua ; mais il y trouva des Arabes mahométans, avec lesquels, lui qui était de la secte religieuse dominant en Perse, se trouvait en dissidence. Et, comme sa ferme intention était de former un État particulier dont il fût le maître souverain , il descendit le long de la côte et atterrit à Kiloua. Voyant que la disposition naturelle de ce territoire, entouré d'eau, le mettrait à l'abri des hostilités de ses voisins, il l'acheta, au prix d'une certaine quantité d'étoffes, à ceux qui y résidaient, à la condition qu'ils se retireraient sur la terre ferme. Dès qu'ils furent partis, il se mit à élever des fortifications, afin de pouvoir se défendre non-seulement contre les attaques des Cafres, mais aussi contre celles de quelques populations maures qui l'avoisinaient, notamment celles des îles Songo et Changa, dont la domination s'étendait jusqu'à Monpana, distant de Kiloua d'environ 20  lieues.
Comme homme de beaucoup de  talent et de sagesse, il eut bientôt créé une ville remarquablement grande et forte, à laquelle il donna le nom qu'elle porte aujourd'hui. Quand il s'y vit solidement établi , il commença à étendre su domination sur les populations les plus proches. C'est ainsi qu'il envoya un de ses fils, fort jeune, établir son autorité sur l'île Monfia et sur d'autres îles de ces parages. Ce courageux fondateur prit bientôt le titre de sultan, que gardèrent ses successeurs
   A la mort d'Ali-ben-Hhacen, son fils Ali-Bumale  hérita de son père et régna quarante ans. Comme il n'avait pas d'enfant, le gouvernement de Kiloa passa à AliBou Soloquele, fils de son frère, le jeune prince que nous avons dit établi à Monfia. Le règne de ce roi ne fut que de quatre ans et six mois». Il eut pour successeur son fils Daoud, qui fut chassé de Kiloua, après quatre ans de règne, par Matata-Mandelima, roi de Changa, son ennemi. Daoud se retira à Monfia, où il mourut. Matata laissa à Kiloua un sien cousin du nom d'Ali- boU-Bekre, qu'après deux ans les Parsis chassèrent et remplacèrent par Hhouceïn-Seliman, cousin de Daoud, décédé. Seliman régna seize ans. Il eut pour successeur Ali-ben'Daoud , son cousin, qui régna soixante ans, et laissa le trône à un de ses petits-fils, nommé, comme lui , Ali. Celui-ci était un méchant homme ; le peuple se souleva contre lui après six ans de règne, et le précipita vivant dans un puits.
Après quoi , il prit pour souverain, à sa place, son frère Hhacen-ben-Daoud., qui régna vingt-quatre ans. A ce dernier succéda Seliman, qui était de race royale. Mais, comme c'était un très-mauvais roi , après deux ans de règne seulement , les habitants se soulevèrent, lui tranchèrent la tète, et élevèrent au pouvoir son fils Daoud, deuxième du  nom, qu'ils firent venir de Sofala, où il était gouverneur et où il avait acquis de grandes richesses. Daoud régna quarante ans et laissa le trône à son fils Seliman- Uhacen. Ce nouveau roi eut un règne remarquable ; il se fît seigneur de la rançon de Sofala, des îles de Pemba, de Monfia et de Zanzibar, et d'une grande partie de la côte de la terre ferme. Il ne se contenta pas d'être conquérant; il embellit la ville et y fit construire une forteresse en pierre et chaux, avec murailles, tours et châteaux; car, jusqu'à son règne, Kiloua était presque tout entière construite en bois : tout cela se fit dans l'espace de dix-huit ans que dura son règne. II eut pour successeur son fils Daoud, qui régna deux ans ; puis Talut, frère de ce dernier, qui ne régna qu'un an ; enfin un troisième fils, nommé Hhoceïn, qui régna vingt-cinq ans. Comme celui-ci n'avait pas de fils, le trône passa à un quatrième fils de Seliman, nommé Ali-Boui, qui vécut dix ans. Ce fut le plus heureux de cette nombreuse lignée; il put achever toutes ses entreprises. A ces quatre frères succéda Bou-Seliman, leur cousin, qui régna quarante ans. Après lui régna , pendant quatorze ans , Ali-Daoud, auquel succéda son petit-fils Hhacen, qui régna dix-huit ans et fut un excellent prince. A sa mort , la royauté échut à son fils Seliman, qui, après quatorze ans de règne, fut tué par trahison. Après lui régnèrent son fils Daoud pendant deux ans, puis Hhacen, frère de Daoud , pendant vingt-quatre ans. Hhacen mort sans enfants , le pouvoir retourna aux mains de Daoud, son prédécesseur, qui avait régné deux ans par suite de l'absence de son frère, parti pour la Mecque, et auquel il avait rendu, à son retour, le trône, qui lui appartenait. Cette fois, Daoud régna vingt-quatre ans. Il eut pour successeur son fils Seliman, qui ne régna que vingt jours, et fut dépossédé par son oncle Hhacen. Hhacen régna six ans et six mois ; n'ayant pas d'enfants, il eut pour successeur Taluf, son neveu, frère de Solyman, qu'il avait détrôné. Taluf régna un an, et fut remplacé par un autre de ses frères, nommé aussi Seliman, qui garda le trône deux ans et quatre mois. Après ce laps de temps, il fut renversé par un autre Seliman, son oncle, qui régna vingt-quatre ans quatre mois et vingt jours. Après lui régna vingt-quatre ans son fils Hhacen, auquel succédèrent son frère M’hhammed-Ladil pendant neuf ans, et le fils de ce dernier, Seliman, pendant vingt-deux ans. Seliman mourut sans enfants. Son oncle Ismaël Ben-Hhacen régna quatorze ans. A sa mort le gouverneur se  déclarer roi, mais ne régna qu'un an, et fut remplacé par celui qui avait rempli sous lui la place qu'il occupait avant son usurpation. Ce dernier ne régna non plus qu'un an. Le peuple choisit alors pour nouveau roi Mahhmoud, homme pauvre, mais de sang royal. Sa pauvreté lui fut un obstacle, et le força, au bout d'un an, de renoncer au trône. On choisit pour roi , après lui , Hhacen, fils de l'ancien roi Ismaël, qui régna dix ans et eut pour successeur Said, qui régna dix autres années. Après celui-ci une nouvelle usurpation eut lieu; le gouverneur se fit déclarer roi et régna un an. Il avait pris pour gouverneur son frère, nommé Mahhmoud, qui avait trois fils; mais, craignant ses neveux, il les avait envoyés, loin de Kiloua, gouverner les terres de sa domination. Sofala échut, dans cette circonstance, à un nommé Youceuf , qui gouvernait cette contrée à l'époque où Pero da Nhaya alla y construire une forteresse par l'ordre du roi Emmanuel de Portugal, comme nous le verrons plus loin. A la place du gouverneur usurpateur, les gens de Kiloua élèvent Abdallah, fils du roi défunt Saïd ; il régna un an et six mois, et après lui son frère Ali régna également un an et six mois. A la mort de celui-ci, le gouverneur de Kiloua choisit pour roi un certain Hhacen, fils du gouverneur précédent, qui avait usurpé le trône après Saïd. Mais le peuple n'y voulut point consentir, et fit choix d'un individu du sang royal nommé Chumbo, qui ne régna qu'un an. Le peuple rappela alors au trône ce Hhacen, qu'il n'avait pas voulu accepter d'abord, et qui régna cinq ans. Son successeur fut Ibrahim, fils de l'ancien sultan Mahhmoud. Celui-ci régna deux ans et fut remplacé par son neveu Alfudaïl, qui resta fort peu de temps sur le trône. Alfudaïl ne laissait qu'un fils, qu'il avait eu d'une esclave. Le pouverneur retint alors le pouvoir, mais sans se faire déclarer roi. Il existait encore un fils du roi Seliman décédé, cousin germain d'Alfudaïl : aussi, quoique Ibrahim fût maître absolu de Kiloua, le peuple ne lui donnait jamais que le titre d'émir. Néanmoins il fut maintenu dans son usurpation par les événements qui surgirent alors et amenèrent dans ces parages Pedro Alvarez Capral, Joân de Nova, et enfin Vasco de Gama, qui l'obligea à se reconnaître tributaire du roi de Portugal lors de son second voyage dans ces mers, qu'il avait si glorieusement conquises à son pays. »

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 14:10
La carte de Lopo Homem consultable sur le site de la BNF:
Atlas Nautique Miller
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24 août 2011 3 24 /08 /août /2011 08:15

Je remercie Soifaoui Affane pour m'avoir communiqué ses photographies prises à Domoni dans la mosquée Masjid al Madrasa, bâtie au XVIe siècle et restaurée au XVIIIe siècle. Elle comporte des inscriptions intéressantes pour l'historiographie du sultanat anjouanais.

 

Mashad 

 

cité par Sophie Blanchy et Pierre Vérin, "premier inventaire des inscriptions arabes aux Comores et à Madagascar",  études de l'océan indien, n°22, pages 22-23, INALCO, 1997.

 

Freeman-Grenville et Martin, "A Preliminary Handlist of the Arabic Inscriptions of the Eastern African Coast", 1973

 

"Dans la mosquée Masjid al Madrasa (Freeman-Grenville & Martin 1973 : 122):

-une inscription sur une poutre en bois commémorant la restauration de cette mosquée/madrasa par sultan Ahmad bin Salih des Abu Bakr bin Salim (c. 1750?), à l'intérieur, à gauche de la porte d'entrée:
Au nom de Dieu le Très-Clément le Miséricordieux. O Dieu,
prie pour Muhammad, sa famille,
et ses compagnons et paix. La date à laquelle cette mosquée a été pour la première fois... Puis
elle est tombée en ruines et fut restaurée et rénovée
par Sultan Ahmad bin Salih [bin Ahmad bin]
al-Sayyid Habib Husayn, fils de Qutb Mawlana al-Shaykh
Abu Bakr bin Salim. O Dieu, pardonne-lui, à lui qui a restauré
cette mosquée bénie et à ceux qui y prient et la maintiennent (en état)
(avec leurs) outils";

-une inscription sur le linteau de la porte, datée de 975 H/1567-8, mentionnant Sultan Ahmad, 975, dans la Masjid [al-]Madrasa.

 

cité par Sophie Blanchy et Pierre Vérin, "premier inventaire des inscriptions arabes aux Comores et à Madagascar",  études de l'océan indien, n°22, pages 22-23, INALCO, 1997.

 

 

Vouani1

 

 


 


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22 août 2011 1 22 /08 /août /2011 08:31

Extrait de la lettre du père Tachard, père supérieur général des missionnaires français de la Compagnie de Jésus dans les Indes orientales, au père de la Chaise, de la même compagnie, confesseur du roi.

«Nous levâmes l’ancre d’Anjouan le 14 d’août avec un vent favorable, mais qui ne dura pas; car à peine eûmes-nous fait sept ou huit lieues que le calme nous prit. Les courants nous portèrent vers l’île de Moali, et nous obligèrent à passer à l’occident de l’île de Comore ou Angasie [Ngazidja], la plus grande de ce petit archipel.
    Ce fut un coup de providence spéciale pour deux pauvres Anglais, qui étoient dans cette île depuis deux ans, dénués de tout, et abandonnés aux insultes et à la cruauté d’un peuple barbare. Nous avions envoyé notre chaloupe à terre chercher quelque chose qui manquait; on mit en panne, et on l’attendit deux ou trois heures. Comme elle revenoit, nous fûmes fort surpris d’y voir deux hommes tout nus, décharnés et moribonds. L’un était  âgé d’environ trente ans; l’autre ne paroissoit pas en avoir plus de vingt.
    Après qu’on les eut interrogés, nous apprîmes qu’ils avoient fait naufrage à l’île de Mayotte, dont nous avons parlé. Le premier était dans un grand navire de la Compagnie d’Angleterre, qui s’étoit perdu il y avoit près de trois ans; et l’autre venoit de Boston, où il s’étoit engagé avec des flibustiers anglais. Ces deux vaisseaux avoient péri, parce que les pilotes avoient pris l’île de Mayotte pour celle de Moali.
    Ceux des passagers et de l’équipage, qui purent se sauver à terre, furent traités par les habitants avec beaucoup de ménagement, aussi longtemps que leur nombre les rendit redoutables. Mais diverses maladies causées, aux uns par le mauvais air ou par la débauche, et aux autres par la tristesse et par le chagrin qu’ils prirent, les ayant réduits à quinze ou seize personnes, les barbares, qui ne les craignoient plus, cherchèrent bientôt les moyens de leur ôter les biens et la vie.
    Il y avait parmi ces malheureux sept Français et trois Allemands; les autres étoient Anglais ou Hollandais. Comme leur nombre diminuoit chaque jour, et qu’ils se voyaient mourir de misère l’un après l’autre, ils prirent la résolution de sortir à quelque prix que ce fut de cette île, dont ils ne pouvoient pas espérer qu’aucun vaisseau d’Europe vint jamais les tirer, le port étant inaccessible à ceux mêmes d’une médiocre grandeur. Dans cette vue, ils firent, des débris de leurs navires, une chaloupe assez grande pour les porter; avec des sommes d’argent considérables qui leur restoient. Ils devoient mettre le lendemain à la voile, quand le roi du pays, qui eut quelque soupçon de ce qui se passoit, leur envoya demander leur chaloupe, qu’il trouvoit, disait-il, fort à son gré. Ce n’étoit visiblement qu’un prétexte pour les arrêter, et pour se rendre maître de leur argent. Les Européens, qui se trouvèrent alors assemblés dans une cabane sur le bord de la mer, tinrent conseil, et furent tous d’avis de refuser la demande du roi de Mayotte le plus honnêtement qu’ils pourroient. Ils virent bien qu’après cette démarche on ne chercheroit qu’à les perdre, et qu’ainsi, il falloit qu’ils se tinssent sur leurs gardes plus que jamais.Mais les barbares qui s’étoient aperçus que la poudre manquoit, par ce qu’ils n’alloient plus à la chasse, les environnèrent en foule et les attaquèrent avec furie dans leur cabane, où ils se défendirent longtemps. Comme elle n’étoit environnée que de grosses nattes, et qu’elle n’étoit couverte que de paille et d’écorces d’arbres, les barbares y mirent le feu, et y brûlèrent la plupart de ces misérables. Ceux qui échappèrent à demi grillés ne furent pas plus heureux, car on les mit brutalement à mort. Ainsi, de toute cette troupe, il ne resta que trois Anglais, qui se tinrent cachés jusqu’à ce que la fureur du combat et du carnage fut passée. On eut pitié d’eux, et on leur donna un petit canot avec quatre hommes qui les menèrent à Angasie [Grande Comore].
    Ces pauvres gens y furent bien reçus par le roi de la partie occidentale de l’île où on les débarqua. Il les entretint d’abord ) ses dépends; mais s’étant bientôt lassé de cette hospitalité, il les laissa chercher de quoi vivre comme ils pourroient. Pendant une année et demie, ils se nourrirent du fruit du cocotier, et du lait qu’ils tiraient des vaches, quand ils pouvoient en trouver à l’écart; après quoi un des trois ne pouvant pas soutenir plus longtemps une si grande disette, tomba malade et mourut. Ses deux compagnons se mirent au devoir de l’enterrer; mais comme si la terre eût dû être profanée par la sépulture d’un Européen, les habitants d’Angasie ne voulurent pas le leur permettre, et les obligèrent de le jeter à la mer. Voilà ce que nous apprîmes ces deux Anglais.»

 

extrait des Lettres édifiantes et curieuses, missions étrangères, Mémoires des Indes, Lyon 1819, cité par Jean-Claude Hébert, "Mayotte au XVIIIe siècle, des pirates européens aux pirates malgaches, en passant par les sultans batailleurs et les traitants d'esclaves français" acte de conférence, 1998.

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21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 12:34

Si l’on s’accorde pour qualifier ce récit de «très romancé», certains détails restent très plausibles: le fait que la capitale (Tsingoni) est localisée sur la côte Ouest par exemple. On pourrait donc y voir une part de vérité pouvant expliquer l’origine de la ruine de Tsingoni conduisant le choix fait par le sultan Salim, à la fin du XVIIIe siècle de déplacer la capitale du sultanat sur l’îlot de Dzaoudzi, jugé plus sûr.
comores«L’idée leur vint de s’emparer du sultan d’Anjouan afin d’obtenir de lui une forte rançon, mais le maître, qui ne connaissait point les côtes de cette île, n’y voulut pas conduire le navire.
Ils croisèrent au milieu de cet archipel et firent une descente à Comaro [la Grande Comore] dont ils prirent la capitale, sans y trouver d’autre butin que quelque chaînes d’argent et de mauvaises toiles, puis ils allèrent à Mayotte, où ils embarquèrent un Français qui y avait naufragé et avait été bien traité par le sultan; ils lui demandèrent de les aider à prendre la ville de ce sultan; il leur dit que tel n’était pas son avis, parce qu’il avait de grandes obligations aux habitants de ce pays, toutefois que, comme il était sous leur dépendance, il ferait ce qu’ils lui demanderaient. Ils entourèrent donc la maison du sultan et, après trois jours de lutte, ils s’en emparèrent. Le fils du roi s’ouvrit, le cimeterre à la main, un chemin à travers la masse des pirates, mais il ne tarda pas à être tué. Le prétexte qu’ils mirent en avant pour expliquer leur conduite cruelle, c’est que les Mayottais avaient empoisonné l’équipage d’un navire ami. Le roi eut beau nier et affirmer, ce qui était vrai, que jamais il n’était venu sur sa rade un navire du nom qu’on lui disait, il fut conduit à bord, et on enferma les autres prisonniers dans une sorte de mosquée dont trente-six hommes eurent la garde.
MayotteL’alarme ayant été donné dans toute l’île, les indigènes accoururent au nombre de plusieurs milliers et attaquèrent cette garde; mais les gens du navire, entendant des coups de fusil et voyant les coteaux couverts de monde, tirèrent quelques coups decanon chargés à mitraille qui firent un grand massacre de Mayottais et les obligèrent à fuir.
Le sultan donna pour sa rançon quelques chaînes d’argent valant mille piastres et toutes les provisions dont ils pouvaient avoir besoin. Lorsqu’il fut conduit à terre, on lui fit jurer que les pirates étaient les maîtres de l’île et que jamais il n’empoisonnerait d’Européens.
Après cette expédition mémorable, ils restèrent encore une quinzaine de jours à Mayotte, toujours sur leurs gardes, puis ils firent voile pour la baie de Saint-Augustin, emmenant avec eux vingt esclaves comme domestiques.»


Daniel Defoe, La véritable histoire des pirates, cité par A. Grandidier, Collection des Ouvrages Anciens Concernant Madagascar, tome 3, p 560-561.

« Ne réussissant pas à doubler le Cap d’Ambre à cause des courants, il revint à Mayotte; il mouilla sur la côte Ouest de cette île, dans un port nommé Sorez, où quelques temps auparavant était venu commercer un navire anglais. Le commandant, un certain Price, étant allé à terre avec le docteur, tous deux furent par la suite vendus à des Arabes.
Apprenant cette infamie, North et ses hommes firent une descente dans l’île, incendièrent la principale ville et ravagèrent la plus grande étendue possible de champs.»


Daniel Defoe, La véritable histoire des pirates, cité par A. Grandidier, Collection des Ouvrages Anciens Concernant Madagascar, tome 3, p 590.

 

M.Pauly

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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 17:09

C'est les vacances, on explore ses vieux livres et l'on découvre que le "magasin pittoresque"  sur l'étagère est celui de 1855-1856 comportant les gravures de Lebretron réalisées à Mayotte et en Grande Comore. M.Pauly

Le magasin pittoresque

  frontispice magasin pittoresque

 

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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 20:08


Le maïs (Zea mays) est une céréale originaire d’Amérique, cultivée sur l’ensemble du continent durant l’époque pré-colombienne, des actuels Québec à l’Argentine. C’est Christophe Colomb qui ramena dans l’Ancien monde cette découverte lors de ses premiers voyages, au plus tard en 1497. Cette céréale connut dès lors un rapide succès en Europe méditerranéenne, rapidement mise en culture dans la péninsule ibérique.
Fait exceptionnel, lorsque les flottes portugaises atteignent pour la première fois la côte swahili et le nord-est de Madagascar, aux premières années du XVIe siècle, le maïs y est déjà cultivé! Cette affirmation est attestée par plusieurs témoignages contemporains cités ici:

Description du sac de Kilwa et de Mombasa (1505) par la flotte portugaise de Francisco d’Almeida, par Hans Mayr, matelot à bord du Sam Rafael, capitaine Fernan Suarez.

«la ville de Kilwa est située sur une île autour de laquelle des navires de 500 tonnes peuvent naviguer. L’île et la ville ont une population de 4000 personnes. Elle est très fertile et produit du maïs similaire à celui de Guinée, du beurre, du miel et de la cire.»

«Ils [les assaillants Portugais lors du pillage de Mombasa] prirent aussi des provisions: du riz, du miel, du beurre, du maïs, d’innombrables chameaux et une grande quantité de bétail, et même deux éléphants.»


d’après Freeman-Grenville, 1962, p105-112. Freeman-Grenville a repris la traduction d’E. Axelson, South-East Africa, 1488-1530, pp.231-238.

Ces deux évocations attestent de la culture du maïs autour des cités swahilies de Kilwa (Tanzanie) et de Mombasa (Kenya). L’évocation suivante atteste de sa culture à la côte nord-ouest de Madagascar:

Relation de la prise de Langany (nosi manja), baie du «vieux Masselage» (Mahajamba), par la  flotte portugaise de Tristan da Cunha, janvier 1506.

«Le lendemain [de la prise de l’îlot de Langany], à l’aube, ils virent venir une foule d’embarcations où il y avaient environ 600 hommes, prêts à mourir pour sauver leurs femmes et leurs enfants qui étaient restés entre les mains des nôtres. Tristan da Cunha, informé de leurs désirs et n’ayant  aucune raison de leur infliger un châtiment, leur envoya dire par le chef, qui avait été fait prisonnier la veille, qu’ils pouvaient accoster sans crainte... Tristan da Cunha, en entendant ce discours et en voyant la contenance humble et franche du Maure qui le prononçait et dont la figure triste en disait plus que les paroles, eut pitié de lui et lui dit qu’il se consolât, parce que leurs femmes et les enfants leur seraient rendus, et qu’en échange de ce bienfait il ne demandait que quelques boeufs et des vivres frais, et aussi des renseignements sur le pays. Le Maure, à ces mots, se jeta à ses pieds, baisant la terre sur laquelle ils étaient posés, et après avoir demandé la permission, il s’en fut porter la nouvelle à ses compatriotes qui l’attendaient et qui s’en retournèrent de suite à la terre ferme, d’où ils amenèrent plus de cinquante petites vaches, vingt chèvres, du maïs, du riz et divers fruits.»

 

Barros, De Asia,  cité par A. Grandidier, Collection des Ouvrages Anciens Concernant Madagascar, t1, p27


Description des îles Comores par Baltazar Lobo da Suza, 1557:
«Ils n’existent pas dans ces îles d’animaux venimeux, et on y élève des boeufs des chèvres et des volailles. Elles produisent beaucoup de riz, de maïs, de canne à sucre qui sont très longues et très belles.»


Cité par A.Grandidier, Collection des Ouvrages Anciens Concernant Madagascar, t1. p 104.


Ce témoignage est beaucoup plus tardif, réalisé un demi-siècle après les précédents. Cette description résulte de la première escale portugaise aux Comores. Mais on y apprend, là encore, que l’introduction du maïs a précédé la première escale officielle portugaise. Signe des relations commerciales de l’archipel avec sa région proche.

L’emploi du mot «maize» dans les versions originales écrites en portugais ne met pas en doute la nature de la céréale décrite, car ce terme, d’origine indienne caraïbe, a dès les premiers voyages de Colomb désigné exclusivement le maïs.
Ces témoignages attestent donc que le maïs n’a pas été introduit en Afrique de l’est par les Portugais qui rencontrent la culture de cette céréale de la côte africaine swahilie au nord-ouest de Madagascar au moment de la découverte de ces parages. Bien-sûr, un contact direct entre le sud-ouest de l’Océan indien et l’Amérique pré-colombienne est à exclure, car si les auteurs Portugais sont les premiers à signaler cette céréale dans cette région du monde, les auteurs arabes des siècles passés n’y mentionnent que la culture du riz et du millet.
C’est donc que l’introduction du maïs dans ces régions était assez récente. En réalité, la diffusion du maïs a suivi la voie des échelles commerçantes islamisées de la côte orientale africaine depuis l’Empire ottoman. En effet, de même que la cartographie ottomane intègre très rapidement les découvertes du Nouveau monde réalisées par les Espagnols grâce à un réseau d’espions (d’où la fameuse carte de l’Océan atlantique de Piri Reis, étonnamment précise), les nouvelles plantes ramenées d’Amérique, dont le maïs, sont à l’évidence elles-aussi rapidement accaparées par les Turcs (le maïs est d’ailleurs longtemps appelé en France «blé de Turquie» ou «blé d’Inde»).  Ceux-ci vont contribuer via les routes commerciales détenues par les islamisés, à la diffusion de la céréale dans l’Océan indien. Ajoutons que le maïs est appelé à Mayotte mrama (shi-maoré) et tsakou tsakou (ki-bushi), termes qui ne présentent pas de filiation avec le portugais alors que celle-ci est incontestable par exemple pour le tabac appelé tibacou  (shi-maoré), lubaka (ki-bushi), plante effectivement introduite par les Lusitaniens.
C’est ainsi que, paradoxalement, les Portugais découvrent en Afrique de l’Est des régions où le maïs est déjà cultivé, et cela même, 13 ans à peine après le retour de Colomb de son premier voyage!

 

culture de maïs à Mayotte

Culture de maïs à Mayotte: le maïs est cultivé à la main, planté de manière clairsemée, il est souvent associé à d'autres cultures comme ici des bananiers (en haut) ou du riz (en bas). Actuellement, les épis sont généralement consommés grillés et vendus ainsi au bord des routes, à partir de janvier-février, période de la première récolte.

culture de riz à Mayotte


Le maïs, fruit de nombreuses sélections à partir de la téosinte et poussant initialement en zone tropicale, est la céréale qui fournit les plus hauts rendements, expliquant certainement par là, son succès et  sa rapide diffusion en Afrique orientale via les routes commerciales détenues alors par les islamisés. Cette céréale révèle donc la vitalité des échanges au début du XVIe siècle.

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Abstract

 

The Society of Mayotte History and Archaeology (SHAM) was founded in 1990. For the last twenty years it has undertaken archaeological researches on the island in close connection with the French National Cultural Authorities (DRAC) and the Centre d'Etude et de Recherches sur l'océan Indien occidental et le Monde Austronésien (formerly CEROI, nowadays CROIMA, INALCO, Paris). Several archaeological sites have already been discovered and studied. Besides, the Society has played a part in the elaboration of the island archaeological map. Its members have published many articles and books.

 

Key words: archaeological excavations, Comoro Islands, Mayotte island, Indian Ocean, cultural traditions, Swahili and Malagasy civilisations, Austronesian civilisation, history, mediaeval pottery, stone architecture, Dembeni civilisation, island civilisation, islamisation, shirazi sultanate, islamic civilisation, mediaeval trade, human migrations.

 

Treize siècles d'histoire!

Sgraffiato à voluteCe site propose la découverte de la recherche archéologique à Mayotte, facette peu connue de son patrimoine historique, riche d'une occupation humaine attestée dès le VIIIe siècle après J-C.

C'est uniquement l'histoire ancienne  ou pré-coloniale de Mayotte, antérieure à sa cession à la France en 1841 qui est présentée ici.