Tsingoni, bourgade occupée au moins depuis le XIVe siècle et devenue l’ancienne capitale de Mayotte, des années 1530 à la fin du XVIIIe siècle est mentionnée dans un nombre non négligeable de sources historiques dès le début du XVIe siècle:
Piri Reis, Kitab-i-barhije, 1521 :
« La seconde île est nommée Magota.
On dit que les Portugais y ont mis des hommes.
Elle a un Chah.
Sa population est noire et blanche.
Ils sont chafi’i parmi eux point d’hypocrisie.
Elle a une ville nommée Chin Kuni.
N’y règnent que des sheikhs»
Cet extrait de la description de l’archipel des Comores par Piri Reis, dans son Kitab-i-barhije, écrit en 1521 à partir notamment d’informateurs portugais est la plus ancienne mention de Tsingoni dans les textes. On y apprend que dès cette époque règne sur Mayotte un Chah, nom persan pour désigner le roi, probablement de la dynastie shirazi et que des sheikhs y résident, plus loin on apprend le nom d’un de ces cheiks, faqih Mulazi (fani? Mulazi) qui par ses prières aurait chassé une flotte portugaise. Tsingoni y apparaît comme une localité importante mais n’est pas explicitement présentée comme étant la capitale puisqu’il «n’y règnent que des cheiks».
Inscriptions du mihrab de la mosquée shirazi de Tsingoni, 14 avril 1538:
Ce mihrab a été construit par le Sultan Ali fils / du sultan Mohamed, le
jour de [lacune] / du quatorzième jour de dhi lqi’da
de l’année du Vendredi [après ?] [mot illisible],
quatre / quarante et neuf cent [944] de l’Hégire / [courte ligne lacunaire] sur
celui qui l’a accompli les meilleures prières / et le salut.
Cette inscription fondamentale précise le règne du troisième sultan de Mayotte et atteste qu’à cette date, 1538, Tsingoni est devenue la capitale du sultanat de Mayotte.
Carte anonyme de 1680, dans la légende : « La ville de Legatongill (Tsingoni), où le roi habite & où il y a une mosquée & dite contenir 1000 hommes »
Deuxième mention de Tsingoni, dont le nom est déformé sous un vocable anglo-hollandais. La mosquée y est mentionnée bien que sa taille soit très exagérée.
1726, Histoire générale des pirates, Daniel Defoe, du capitaine Nathaniel North, chapitre X
Ce récit plus ou moins romancé rapporte les exactions commises par le pirate North à Mayotte en 1701 ou 1702:
«Après avoir passé trois jours dans la ville [Tsingoni], ils encerclèrent la maison du roi, et le capturèrent avec tous ceux qui s’y trouvaient; le fils du roi réussit à se frayer un chemin dans la cohue avec sa machette, mais il fut tué peu après. Le prétexte qu’ils invoquèrent pour ce comportement peu respectueux de l’hospitalité était que le roi avait empoisonné l’équipage d’un navire de leur flotte; et il ne servit de rien de protester du mieux qu’il pouvait: eux-mêmes n’avaient évidemment jamais entendu parler d’un navire portant ce nom, puisqu’ils l’avaient inventé. Il emmenèrent le roi à bord, et placèrent les autres prisonniers dans une sorte de temple, avec une garde de 36 hommes.»
Par la suite North obtient du sultan une rançon pour sa libération, puis lors d’une seconde escale sur l’île, cette fois-ci, Tsingoni est incendiée.
Malgré l’aspect très romancé de ces récits, Defoe semble s’appuyer sur des sources directes ce qui rend les informations exposées comme relativement plausibles: Le sultan qui subit ces exactions serait Ali ben Omar dont on sait que la succession posa problème du fait de la mort de son fils Hussein (le prince assassiné par les pirates?) et marqua le début des rivalités entre les différentes branches aristocratiques mahoraises (voir l’article sur les causes de l’effondrement de la civilisation classique à Mayotte).
Vincent Noël, 1841 : « Nous citerons parmi les lieux remarquables de l’île (...) Tchingoni, l’ancienne capitale, dont il ne reste aujourd’hui que quelques pans de murailles, des pierres tumulaires couvertes d’inscriptions arabes et des débris de mosquée. »
Lors de la mission de reconnaissance à Mayotte, Vincent Noël accompagne le commandant Passot. Il nous livre la description de Tsingoni, bourgade ruinée. C’est aussi un rare témoignage de l’existence d’une muraille autour de Tsingoni, dont les vestiges ont aujourd’hui totalement disparus.
Cadi Oumar Aboubacar Housseni, chronique de Mahore, 1865 :
« Le sultan Mouhamed le chirazien, qui régna à Ndzuani, laissa des fils à Maoré et à Ndzuani. A Maoré, c’est son fils, le sultan Issa qui fit construire la mosquée de Tsingoni »
Selon Omar Aboubacar, le fils de Mohamed se dénommait Issa (Haïssa pour Gevrey), mais les inscriptions de la mosquée livrent la lecture Ali ben Mohamed, ce que confirmerait la tradition qui veut que le premier roi à régner à Tsingoni était Fauméali ben Ahmadi.
« (Sultan Bwana Ko’mbo de Ndzuani et ses mercenaires Betsimisaraka) revinrent en grand nombre, à Maoré et livrèrent bataille, pendant plusieurs jours, à Tsingoni. Dans cette ville, régnait le sultan Bwana Ko’mbo (de Maoré) qui descendait des filles du sultan Omar fils du sultan Ali. Les Betsimisaraka détruisirent la ville de Tsingoni en 1313 de l’Hégire. Ils tuèrent le sultan Bwana Ko’mbo et capturèrent un grand nombre des habitants de la ville. »
La chronique du cadi Oumar Aboubacar attribue aux razzias malgaches la destruction de Tsingoni mais il semble bien que dès 1791, la ville soit déjà abandonnée puisque le capitaine Péron ne signale pas son existence. Les expéditions militaires anjouanaises de la seconde moitié du XVIIIe siècle et peut-être les épisodes de pirateries du début du siècle sont semble-t-il responsables du déclin de la localité.
Gevrey, essai sur les Comores, 1870 :
« Le sultan Haïssa y bâtit la mosquée qui subsiste encore aujourd’hui, quoiqu’en très mauvais état. Les murs très épais sont en chaux et corail, et la couverture en feuille de cocotiers. Deux rangées de lourds piliers partagent l’intérieur en trois petites nefs. De chaque côté de la niche du chœur on voit deux versets du Coran inscrits en lettres Arabes sur des plaques de terre cuite, couvertes d’un vernis de couleur verte. Une autre inscription, également en pur arabe, indique que la mosquée a été bâtie l’an 944 de l’Hégire (1566). Ce monument est lourd et massif, avec des ouvertures en ogive écrasée. Devant la porte, à droite de l’escalier, on voit le tombeau d’Haïssa, petite construction rectangulaire en ciment avec socle, corniche et couverture, ornée, sur les côtés, d’applications de porcelaine à fleurs bleues, dont il reste quelques fragments. L’intérieur du mausolée, haut d’environ 1,50 m, est vide et éclairé par des trèfles. À côté se trouvent plusieurs tombeaux de sultans et de sultanes, entre autres celui de Magoina Aminah, fille d’Haïssa ; ces sépultures, élevées dans le même style, entouraient la mosquée ; elles sont complètement ruinées, ainsi d’ailleurs que la ville de Chingoni ; il ne reste que quelques pans de murs de l’enceinte et une quarantaine de baraques. Mais ce lieu est encore en grande vénération parmi les Arabes ; et ce n’est pas en démolissant, comme l’a fait un colon, il y a quelques années les murs de cette mosquée pour faire de la chaux avec le corail, que nous gagnerons les sympathies de la population. »
Gevrey est le premier à apporter une description de la mosquée et des inscriptions qu’elle comporte. La lecture 944 de l’hégire était juste mais sa conversion en 1566 par le simple ajout de 622 (date de l’Hégire) fut une erreur maladroite reprise par de nombreux auteurs par la suite.
La description de deux rangées de lourds piliers dans la salle de prière pose problème, car aujourd’hui seul un pilier en position axiale subsiste laissant penser qu’initialement, une seule rangée de piliers existait tout comme à Domoni à Anjouan. Peut-être que Gevrey confondit dans ses écrits Tsingoni avec une autre mosquée de l’archipel qu’il avait visité. Un sondage archéologique dans la salle de prière de la mosquée de Tsingoni apporterait un éclairage sur cette question.
Mkadara ben Mohamed 1931-1932 :
« Quand celui-ci fut couronné (Sultan Aïssa Ben Mohamed), il construisit la mosquée de Tsingoni en 844 de l’Hégire »
Saïd Ahmed Zaki, chronique d’Anjouan, 1927:
« Mohamed ben Hassan se maria avec sa cousine Amina, fille du sultan Aissa, remplaça définitivement son père sur le trône de Mayotte (1443). Celui-ci régna à Mayotte sous le nom de Sultan Aissa 1er. La mosquée construite à Tsingoni porte la date de 844 H (1441).
Nous nous sommes empressés de devancer cette partie de notre histoire bien qu’elle ne dût pas être ici afin de pouvoir prendre comme base certaine la date ci-dessus pour la comparer avec celle de 1503 de l’ère chrétienne que nous trouvons portée dans plusieurs ouvrages comme date à laquelle les Chiraziens seraient venus aux Comores. Nous en déduisons 40 ans, en supposant que ce fût le temps écoulé depuis l’arrivée de Hassan grand-père de Haissa ben Mohammed, jusqu’à la fin des travaux de la construction de Tsingoni, moment où Aissa eut l’heureuse idée de faire graver la date de 844 (1441). Selon notre supposition, l’arrivée de Hassan daterait de 1401, ce qui nous porte à croire que les Chiraziens étaient déjà aux Comores lors du passage des Portugais ».
Mkadara, l’auteur de la chronique de Mtsamboro tout comme Saïd Ahmed Zaki réfutèrent la date de 944 avancée par Gevrey pour lui préférer celle de 844 (peut-être à partir d’une erreur de copie d’un des manuscrit du cadi Oumar Aboubacar). Said Ahmed Zaki avança à partir de cette date erronée une chronologie pour l’arrivée des Shirazi remise aujourd’hui en question.
Urbain Faurec 1941 Histoire de l’île de Mayotte, dans l’archipel des Comores :
« A Chingoni, une des vieilles cités de l’île, demeurent les restes d’une mosquée construite, croit-on, sous le règne d’Hassani et dont le fronton porte la date 944 de l’Hégire, soit 1566 de notre ère. Alentour de la mosquée gisent les ruines de plusieurs tombes qui seraient celles de ce sultan, de sa fille Magoïna-Aminah et de leurs descendants. Ces vestiges, qui portent encore des fragments d’inscriptions et de décorations en porcelaine bleutée, demeurent un lieu de pèlerinage vénéré par les insulaires. »
En 1936 : « Au centre de Mayotte, le petit village de Chingoni conserve encore une très vieille mosquée dont le cintre d’entrée porte la date de 944 de l’Hégire, 1566 de notre ère.
C’est une construction extrêmement modeste, en blocs de coraux enduits de chaux et malheureusement couverte en tôle ondulée. Cette mosquée ne comporte pas de minaret et c’est sur une sorte de palier extérieur qu’apparaît le muezzin pour réciter la prière. Alentour gisent quelques tombes qui portent encore des fragments de décorations en porcelaine bleutée. Ce serait là, assure-t-on, les tombeaux du sultan Hassani et de ses descendants qui régnèrent sur Mayotte dès le début du XVIème siècle. Ces vestiges sont les plus anciens témoins de la domination musulmane sur l’île. »
Urbain Faurec, le père de l’expression «les sultans batailleurs», s’appuie abondamment sur les écrits de Gevrey. Mais l’inscription qu’il évoque n’est semble-t-il plus visible puisqu’il l’imagine placée sur le fronton d’une porte de la mosquée. Il faudra attendre la fin des années 1990 pour que les inscriptions réapparaissent sur le mihrab lors du rafraîchissement de ses peintures.
M.Pauly
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