Cliquer ici pour accéder à l'album en ligne sur les découvertes de la nécropole d'Antsiraka Boira (Acoua-Mayotte), fouillée en 2012.
Cliquer ici pour accéder à l'album en ligne sur les découvertes de la nécropole d'Antsiraka Boira (Acoua-Mayotte), fouillée en 2012.
Le site archéologique d’Antsiraka Boira, sur la pointe Kahirimtrou, entre Acoua et Mtsangadoua, est selon la tradition orale un lieu hanté par les esprits. Un sondage archéologique, réalisé entre septembre et décembre 2012, y a mis au jour une nécropole du XIIe siècle.
Un cimetière d’enfants
Six sépultures ont été fouillées, toutes d'enfant. L’orientation de ces sépultures varie, de sud/nord à sud-ouest/nord-est. L’architecture funéraire conservée se présente sous la forme de pierres dressées en quinconce délimitant un petit enclos rectangulaire. Du gravillon corallien, prélevé sur le proche littoral, est répandu à l’intérieur de cet enclos. Des petits tridacna (bénitier) remplis de ce gravillon, sont laissés en surface, probablement en offrande. Des tessons de céramique médiévale de production locale (décorée d’impressions de coquillage erythraeonensis ou de motifs en chevrons) ont été retrouvés à proximité. Le remplissage de la fosse sépulcrale peut présenter à nouveau une couche de gravillons coralliens, des tessons de poteries et toujours au niveau des pieds du défunt, une pierre plate et un galet. Sur six sépultures identifiées lors de ce sondage, trois présentaient une décomposition totale du corps (sépultures 02, 04 et 06), seules les dents étant conservées (tête au nord). Sur les trois autres, la position du corps présentait les mêmes caractéristiques avec un défunt disposé sur le dos sur un léger lit de sable ou de gravillons coralliens, tête — parfois posée sur un coussin en matériaux périssables — tournée vers la droite, les bras dépliés le long du corps, jambe droite légèrement fléchie pour rejoindre la jambe gauche au niveau des chevilles. Seul un individu (sépulture 03) présentait une position latérale sur le côté droit avec le bras droit le long du visage.
Des inhumations avec parure de perles
À l’exception des sépultures 03 et 06, tous les défunts étaient accompagnés d'une parure de perles. Il s’agit de perles en pâte de verre retrouvées au niveau du bassin ou du cou. Cela laisse penser qu'elles étaient respectivement brodées sur un pagne ou enfilées sur un collier.
Un disque en corail poli, retrouvé au niveau du lobe de l’oreille du crâne de la sépulture 03 pourrait être un disque d’oreille. Des perles semblables ont été retrouvées sur d’autres sites archéologiques d’Afrique de l’Est, datant de la fin du XIe siècle et du XIIe siècle. En rapportant cette chronologie relative à Mayotte, les perles trouvées à Antsiraka Boira permettent de dater la nécropole médiévale d'Acoua autour des années 1100 à 1200.
Des sépultures d’inspiration musulmane
La construction des tombes, ainsi que la position des corps, correspondent au rite funéraire musulman. Néanmoins, l’orientation de ces inhumations et la présence de parure sont très atypiques. Il s’agirait donc ici d’un rite funéraire d’inspiration musulmane témoignant de l’islamisation progressive des élites de Mayotte au cours du XIIe siècle. Cette chronologie, attribuée par les données archéologiques aux XIe-XIIe siècles, rejoint celle donnée par les sources historiques comme les écrits du géographe arabe Al-Idrisi au XIIe siècle selon lesquels les élites de l'archipel des Comores étaient alors musulmanes.
Des perles originaires d’Afrique et du Sud-Est asiatique
C’est au total 2 700 perles qui ont été découvertes dans quatre sépultures d'Antsiraka Boira. Il s’agit de perles en coquillage et en pâte de verre de forme sphérique irrégulière, ou parfois enroulées. La nécropole d’Acoua fournit des perles en pâte de verre de couleurs variées: noires, jaunes, beiges, bleu turquoise et rouges témoignant de la diversité des zones d’approvisionnement. Hormis les perles en coquillage qui proviennent d’Afrique de l’Est où des sites de production sont connus au Kenya, les perles en pâte de verre ont toutes une origine indo-pacifique : elles étaient produites au sud-est de l’Inde, au Sri Lanka, en Thaïlande et en Indonésie. Ces perles produites en grandes quantités étaient destinées à l’exportation vers l’Afrique d’où leur nom de “trade wind beads” (grains de mousson). Les marchands arabes et peut-être austronésiens les acheminaient jusqu’au Canal du Mozambique où elles étaient appréciées cousues sur les pagnes.
Une découverte rare en contexte funéraire
Le site d'Acoua, Antsiraka Boira, constitue une des principales découvertes archéologiques de perles de l’océan Indien occidental. Les tombes musulmanes étudiées en Afrique de l’Est fournissent rarement du mobilier funéraire. Hormis cette nouvelle découverte à Mayotte, seule la nécropole musulmane de Vohémar (XIIIe-XVIIe siècles), au nord-est de Madagascar, fournit des perles en contexte funéraire. La présence de tels objets dans les sépultures témoigne d’une application non stricte du rituel d’inhumation musulman, comme le révèlent également les variations de l’orientation des corps des défunts qui ne sont pas tournés vers La Mecque, et encourage à interpréter ces vestiges archéologiques comme témoins des débuts de l’islamisation.
Responsable des opérations Martial Pauly / Société d’histoire et d’archéologie de Mayotte (SHAM) Conseils scientifiques Claude Allibert / CROIMA / INALCO, Patrice Courtaud / PACEA / CNRS Stéphane Pradines / Université Aga Khan Contrôle scientifique et technique Édouard Jacquot / Direction des affaires culturelles / DAC-OI.
Remerciements Thomas Degos / Préfet de Mayotte, Clotilde Kasten / directrice des affaires culturelles, Céline Deroin / adjointe de la directrice des affaires culturelles / Préfecture de Mayotte.
La saison de fouille archéologique s'achève à Acoua. Trois chantiers importants s'y sont déroulés au cours de l'année:
Agnala M'kiri: fouille de la porte de l'enclos villageois (XIIe-XIVe siècles) de mai à septembre 2012. L'étude des niveaux archéologiques du dépotoir a permis d'identifier les évolutions de la consommation alimentaire et de préciser l'évolution stylistique de la céramique locale depuis les origines de l'occupation humaine sur ce site (Xe/XIe siècle).
Antsiraka Boira: septembre-novembre 2012, découverte d'une nécropole médiévale (vers 1100-1200), avec six sépultures d'inspiration musulmane, accompagnées de la découverte exceptionnelle de plus de 2500 perles indo-pacifiques en pâte de verre.
Agnala M'kiri, décembre 2012: sondage sur la mosquée présumée (angle Nord-Est), datée partiellement du XIVe siècle (datation RC14 en 2007 sur un niveau d'incendie).
Ce sondage, qui sera terminé dans les semaines à venir, apportera des renseignements sur l'arrivée de l'islam et l'architecture religieuse, complétant ainsi les données fournies par la nécropole d'Antsiraka Boira.
Aperçu des élévations conservées du mur nord (Qibla) de la mosquée. On distingue nettement l'utilisation de grandes briques de corail, parfaitement agencées, avec assises régulières. Cette technique, encore jamais observée sur un site archéologique de Mayotte, est caractéristique des constructions swahilies des XIIe-XIIIe siècles comme par exemple la grande mosquée de Kilwa, dans son état du XIIe siècle, ou la mosquée de Sanjé ya Kati (XIIe-XIIIe) fouillée par Stéphane Pradines. À Anjouan, H.T. Wright a identifié la même technique de construction sur les premiers niveaux de construction des mosquées de Sima et de Domoni. Cette technique est apparentée aux constructions du Moyen-orient et aurait été introduite en Afrique de l'Est par les commerçants du Golfe persique et d'Arabie du Sud qui seraient également à l'origine du mythe shirâzi.
À Acoua, le niveau de sol intérieur, composé d'une épaisse couche de gravillons sur un lit de blocs de pierre a fourni des tessons locaux décorés de motifs médiévaux datés des XIIe-XIIIe siècles. Après un incendie au XIVe siècle, cette mosquée présente les traces d'une restauration avec reconstruction du mur oriental et création à l'intérieur de couloirs latéraux puis semble définitivement abandonnée au XVe siècle.
La mosquée d'Agnala M'kiri est à ce titre, la plus ancienne mosquée connue actuellement à Mayotte. Ses vestiges ne sont néanmoins plus visibles aujourd'hui puisque la fosse du sondage archéologique a été rebouchée. Les élévations conservées, jusqu'à 1,2 mètre, laissent penser qu'une bonne partie des structures de cette mosquée n'a pas été détruite par la route qui a emporté les 2/3 de l'édifice. De même, les fondations de l'habitation construite à proximité n'ont pas atteint ces vestiges remarquables. D'autres opérations, à l'avenir, permettront peut-être un jour, de mettre en valeur ce patrimoine remarquable...
Lors de la fouille archéologique, les habitants du quartier ont manifesté une grande curiosité devant cet édifice qui a donné son nom au quartier puisque "Agnala M'kiri" signifie en ki-bushi (dialecte malgache de Mayotte), "la Mosquée de la forêt" car jadis, les habitants d'Acoua, pouvaient voir à cet emplacement les ruines du vieux Acoua entourées de végétation avant que ce lieu-dit ne soit urbanisé.
Remerciements
Nous adressons nos remerciements au préfet de Mayotte, Thomas Degos qui nous a fait l'honneur de sa présence lors des journées du patrimoine, à la Direction des Affaires Culturelles de la Préfecture de Mayotte, sous la direction de Clotilde Kasten, pour leur soutien institutionnel et financier, au Conservateur de l'Archéologie, Édouard Jacquot, pour la validation de ces opérations et son soutien en matériel de fouille, à Patrice Courtaud, anthropologue (CNRS) pour ses conseils et analyses lors de la fouille de la nécropole d'Antsiraka Boira, aux propriétaires des parcelles qui ont accueillies nos opérations: Monsieur Toumbou Ibrahim, Madame Sitina Ibrahim, Madame Hadidja Chaka et Monsieur Mahamoud Abdou.
Nos remerciements chaleureux à l'équipe de fouille bénévole qui m'a accompagné durant cette campagne de fouille, dont de nombreux lycéens d'Acoua dont la motivation n'a jamais fait défaut.
Voici la liste exhaustive de tous les bénévoles occasionnels ou permanents: Attoumani Hanessati (lycée du Nord), Bakari Moussa Mikdami (lycée du Nord), Dhoulikifli Ahamed (lycée du Nord), Dippert Anne (enseignante Lycée du Nord), Kassim Hassinani (lycée du Nord), Grandon Marie (enseignante Mamoudzou), Madi-Tchama Djibril (lycée du Nord), Madi Ounaïda (lycée du Nord), Gavila Jean-Marc et Chantal (enseignants Bandrélé), Lebossé Arnaud (enseignant Mtsamboro), Leroy Céline (archéologue, enseignante au Lycée du Nord) , Mohamed Sandrine (enseignante Lycée du Nord), Manceau Robert (enseignant Mtsamboro) ,Toybou Halima (étudiante en archéologie),Ymamou Limouandjilati (lycée du Nord).
Martial Pauly
Clichés: copyright M. Pauly 2012
Accéder ici à l'album de photos des ruines de l'îlot d'Antsohéribory (XVIe-XVIIe siècle), dernière capitale des Antalaotsy, Malgaches islamisés du Nord-Ouest de la Grande île.
Ces vestiges se méritent après un périple en pirogue à voile depuis Majunga (à 50 km).
Pour les explications, je prépare un article détaillé sur l'histoire des Antalaotsy (prononcer "Antalaoutse"), le pendant des Swahilis à Madagascar, à lire prochainement sur ce blog.
clichés, © M. Pauly 2012
Les opérations de terrain ont repris avec le dégagement complet de la porte de l’enclos villageois. Le relevé des maçonneries est presque achevé.
Trois phases de construction successives ont été identifiées: la plus ancienne, construite entre 1100 et 1200 (selon le mobilier associé), présente un appareil régulier composé de moellons de basalte disposés selon des assises régulières. Le niveau de sol de cette première porte est particulièrement soigné, il s’agit d’un pavage réalisé à partir de grandes dalles basaltiques. Le passage de la porte est alors très étroit (environ un mètre), ce qui, dans l’optique d’un enclos pastoral, assurait que les zébus ne puissent sortir de l’enclos qu’un à un, ce qui limitait les possibilités de vol de troupeau. Un niveau incendié indique une destruction violente de cette première porte vers 1250-1350. Ce premier édifice atteste de la parfaite maîtrise des techniques de construction des maçons de cette époque. On ne retrouve plus lors des phases de construction ultérieures cette qualité architecturale.
Des parallèles avec les sites swahilis et malgaches contemporains sont observés: à Madagascar par exemple, le site de Mahilaka possède des enceintes maçonnées avec un parement similaire à celui de l’enclos d’Acoua (Radimilahy 1998). Globalement, les édifices maçonnés d’Afrique de l’Est présentent entre le Xe et XIIIe siècle des assises régulières, employant à la côte swahili des moellons de corail taillé (porites), ou des blocs réguliers de basalte à Madagascar ou comme ici à Acoua. Après le XIIIe siècle, les maçons réalisent des parements irréguliers, généralement recouvert d’un enduit de chaux.
Entre 1250 et 1350 la porte est ensuite remaniée, les techniques de maçonneries employées sont alors plus frustres avec un parement présentant des assises irrégulières, composées de moellons de basalte disposés de manière aléatoire. Le sol de la porte est laissé en terre battue. Enfin, entre 1350 et 1400, la porte est reconstruite à nouveau avec cette fois-ci un parement présentant des assises régulières composées de gros galets de basalte (quelquefois avec encore des huitres accrochées sur ces pierres), blocs de corail et grès de plage, le tout provenant du littoral voisin. Lors de cette ultime phase de construction, l’ensemble des murs était recouvert d’un solide enduit de chaux, participant à la solennité de la porte. De nombreuses traces d’incendie indiquent également une destruction violente de la porte autour de 1400.
Les niveaux les plus anciens, antérieurs à la construction de l’enclos villageois, comportent des tessons de tradition Hanyoundrou à décors composé d’impression de coquillage anadara erythraeonensis, d’incisions géométriques en chevrons, mais également d’impressions ponctiformes, similaires aux traditions céramiques de la côte kenyane (archipel de Lamu) comme l’illustre la poterie retrouvée sur les sites de Manda (période II et III, 1050-1300, Chittick, 1984:116) et de Shanga (phase C à Shanga, 1100-1300, Horton 1996:262-263). Sites fournissant également des céramiques décorées d’impressions de coquillage «arca» d’origine comorienne, attestant ainsi de contacts commerciaux réciproques entre l’archipel de Lamu et Mayotte avant le XIVe siècle.
Inversement, la poterie des niveaux du XIIIe siècle comporte davantage de parenté avec les traditions céramiques contemporaines de la côte nord de Madagascar.
Enfin, les niveaux les plus anciens ont fourni un intéressant et rare fragment de noix de coco carbonisé:
©M. Pauly 2012
Références citées:
Chittick N. 1984 Manda : Excavation at an Island Port on the Kenya Coast, Nairobi, 258 p.
Horton M. 1996 Shanga, the Archeology of a Muslim Trading Community on the Coast of East Africa, Londres, British Institute of East Africa, 458 p.
Radimilahy C. 1998 Mahilaka: an archaeological investigation of an early town in northwestern Madagascar, Studies in African Archaeology (Uppsala), 1998, n° 15, 293 p.
Plusieurs sondages archéologiques à Acoua-Agnala M’kiri font nettement apparaître en stratigraphie, à des profondeurs similaires, une couche homogène présentant un niveau de sol rubéfié [brûlé] associé à de la cendre et des charbons de bois. On y rencontre également des «lits de tessons» indiquant que des vases furent brisés au sol lors de cet épisode violent:
Couche d'incendie (indiquée par les flèches) observée en 2006 et en 2008.
Sondage 2011-2012: sol rubéfié et lit de tessons:
Cette strate d’incendie, bien datée grâce à l’association d’un tesson de sgraffiato tardif du début XIIe siècle, se rencontre sur la totalité de la superficie occupée par le village d’Acoua à cette époque. C’est le résultat d’un important incendie qui détruisit la totalité du village.
On imagine sans peine, le feu attisé par le vent se propager de case en case, à une époque où celles-ci étaient toutes construites en végétal.
un incendie accidentel?
Un évènement similaire s’est déroulé à Acoua (village moderne) au début du XXe siècle. La mémoire villageoise s’en souvient en ces termes:
« Il y eut il y a un siècle environ un terrible incendie qui détruisit toutes les maisons d’Acoua sauf la mosquée qui était en pierre. Le feu avait pris alors que des femmes préparaient un repas. Il soufflait ce jour là un fort vent qui attisait les flammes alors que toutes les maisons étaient construites en feuilles de cocotier. Un homme très méchant avant de partir travailler à la campagne avait dit à sa fille de ne sortir de chez elle sous aucun prétexte si bien que celle-ci mourut dans la maison en flamme. »
Nul doute, au vue de la couche de destruction observée dans les niveaux archéologiques médiévaux, que l’incendie du village d’Acoua-Agnala M’kiri au XIIe siècle fut tout aussi important. Le développement du village ne s’interrompit cependant pas pour autant et les habitants reconstruisirent sur les cendres comme l’indique la non interruption de l’occupation humaine dans la stratigraphie.
Rien n’atteste pour l’heure que cet incendie ait pu avoir une autre origine qu’accidentelle. Cependant, à l’avenir, si d’autres sites archéologiques révèlent des traces de destructions violentes similaires au début du XIIe siècle, il faudra alors reconsidérer cet épisode qui témoignerait alors d’une guerre locale.
Le rempart maçonné d’Acoua sera quant à lui construit quelques décennies plus tard, toujours durant la première moitié du XIIe siècle. Le village, jusqu’alors simple hameau, démarre alors une spectaculaire transformation avec la construction de cet enclos pastoral/défensif formant une boucle d’un kilomètre de long: Acoua devient l’une des principales chefferies de Mayotte.
On peut se plaire à penser que ces deux épisodes autour de 1100-1150, incendie du village puis construction du rempart, sont liés et que tous deux témoigneraient des troubles caractérisant la fin de la période Dembeni, mais il faut bien prendre garde, en archéologie, à la surinterprétation...
M.Pauly
La fouille du «quartier des notables» à Acoua en 2008 a permis de mettre au jour les structures archéologiques d’un quartier d’habitation aisé (accéder à l'article "bilan des fouilles archéologiques à Acoua" ).Très bien conservées sous une habitation en pierre bâtie autour de 1400, les structures d’une construction antérieure du 14ème siècle avait été identifiées.
Les structures archéologiques retrouvées à la fouille, comparées aux connaissances ethnologiques permettent de restituer cet habitat aisé du XIVème siècle.
Elle se présente comme un édifice rectangulaire, délimité à l’emplacement des murs gouttereaux par un alignement de moellons de basalte, et côté mur pignon, par un sous-bassement maçonné composé de moellons de basalte et de corail liés par un mortier de chaux.
Ces structures correspondent à des solins, qui supportaient une élévation construite en bois et matériaux périssables. On peut tout à fait restituer ces élévations par comparaison avec des constructions similaires, encore pratiquées à Mayotte il y a plusieurs décennies ou aujourd’hui à Madagascar, dans ses régions côtières. Les parois sont alors composées de tiges de branches du palmier raphia assemblées, structurées dans une ossature en bois assemblée sur des poutres sablières elles-mêmes portées par des soubassements en pierre. La toiture, à deux pans, étaient réalisées à partir de feuilles de cocotier tressées, comme il est encore courant de l’observer de nos jours.
L’intérieur de cette case était surélevé par une très épaisse couche de sable acheminé depuis la plage voisine. Des nattes tressées devaient probablement recouvrir les sols intérieurs. Aucun foyer intérieur n’a été reconnu. Les activités culinaires, pour limiter les risques d’incendie, se pratiquaient à l’extérieur.
À proximité, les structures de deux constructions légères y sont associées et reconnues grâce à un niveau de sol composé également de sable, et de plusieurs trous de poteaux avec pierres de calage. À proximité, un dépôt de chaux subsiste de la phase de construction des maçonneries.
Cette construction est la première de ce type à introduire partiellement les techniques de maçonnerie pour ses soubassements. Elle permet de dater du 14ème siècle, la mutation opérée dans l’habitat des élites, avec l'adoption progressive de la pierre pour la construction. Des similitudes avec l’architecture traditionnelle malgache semblent confirmer une fois encore, l’origine des élites dominant la chefferie d’Acoua. Dans la phase suivante, datée du XVe siècle, l’habitat en pierre se généralise et donne naissance aux grandes habitations en pierre révélées lors de la fouille à Acoua entre 2006 et 2008, constructions inspirées de l’architecture swahili.
M.Pauly
L’analyse du mobilier archéologique en provenance de la fouille d’Acoua (campagne 2011) se poursuit avec notamment l’étude de la consommation alimentaire. Parmi les rejets alimentaires accumulés dans les niveaux du dépotoir (XIIIe-XVe siècle), les coquillages y sont très abondants. À l’exception de l’escargot terrestre (achatina) qui est peut-être présent dans ces accumulations de façon accidentelle (bien que la consommation d’escargot était encore pratiquée, au village d’Acoua, il y a deux générations seulement), les coquillages sont tous d’origine marine et reflètent les anciennes habitudes alimentaires.
19 espèces de coquillages étaient ainsi principalement consommées, ce qui est en soit remarquable par comparaison aux sites médiévaux de l’Afrique swahili. Par exemple, à Shanga (Kenya), Horton ne recense que 12 espèces de coquillages consommées, et estime que la majeure partie était employée comme appât pour la pêche ou consommés uniquement pendant les périodes de disette. En effet, la consommation de coquillages et en contradiction avec les interdits alimentaires prescrits par l’islam. Or, plus l’on descend vers le sud, le long des côtes africaines, plus les populations côtières, y compris musulmanes, consomment des coquillages. Ainsi, Horton observe qu’à Zanzibar, la consommation de coquillage est courante, elle est également pratiquée au Comores. À Mayotte, la récolte de nerita à marée basse est encore aujourd’hui très fréquente tandis que les pêcheurs emploient les lambis comme appât pour la pêche (mais dans ce cas, les coquilles sont retrouvées brisées au bord des plages).
Les espèces les plus abondantes dans les niveaux archéologiques à Acoua sont celles qui se récoltent facilement le long du littoral, contre les rochers, à marée basse. Lors des marées à plus forte amplitude, des espèces comme des lambis, tridacna ou triton étaient collectées. Très souvent, les individus ont été ramassés avant d’atteindre leur âge adulte, signe d’une récolte systématique des coquillages, sans recherche de gestion de la ressource, ce qui peut expliquer les variations des quantités fournies selon les couches archéologiques: certaines espèces, surexploitées, disparaissant des récoltes. Les plus grands individus ont volontairement été brisés pour extraire le mollusque.
Toutes les espèces ne sont pas représentées parmi les rejets alimentaires: les cônes en sont quasiment absents par exemple. Enfin, les huitres et moules ne se rencontrent que dans les niveaux du XIIIe-XIVe siècle. On ne retrouve pas l’abondance des arca anadara erythraeonensis, consommés en grande quantité sur les sites de Majicavo et Dzaoudzi (niveaux d’époque Hanyoudrou repérés en 2011) et qui étaient également employés pour décorer les céramiques locales jusqu’au XIIIe siècle.
À gauche nerita longii, à droite nerita lineata.
L'espèce nerita est très abondante parmi les rejets alimentaires. Encore aujourd'hui, à Mayotte, cette espèce est collectée à marée basse, par les femmes, malgré la faible quantité de nourriture offerte par ce mollusque.
À gauche lambis, à droite lambis chiragra.
À gauche strombina, à droite cerithium.
À gauche calliostoma ligatum, à droite turbo marmoratus. La coquille du turbo est couramment employée pour confectionner des cuillères en nacre.
À gauche, strombus lentiginosus , à droite cymatium (triton).
cypraea (annulus, monneta et tigris): ici assurément récoltés pour être consommés, ces coquillages sont aussi connus pour avoir servi de monnaie (cauris) dans l'océan indien durant l'époque moderne.
À gauche tectus conus, à droite strombus.
À gauche arca anadara erythraeonensis et à droite tridacna maxima.
À gauche mytiloida, à droite ostrea.
À gauche harpa ventricosa, à droite achatina. L'escargot terrestre est tellement abondant parmi les rejets du dépotoir que sa consommation est quasiment certaine.
M.Pauly
Le chantier reprend l'étude de la portion du rempart laissée en suspend depuis le mois de juillet (juillet 2011: poursuite de la fouille archéologique à Acoua). L'objectif est ici de déterminer quel était le niveau de sol au moment de la construction du rempart et de débuter l'exploration des niveaux plus anciens, antérieurs à la construction de cet ouvrage.
Ces dernières semaines ont été consacrées au dégagement d'un niveau de sol particulièrement intéressant car correspondant au niveau de construction du rempart. On y observe une couche homogène composée d'une croûte de chaux, ainsi que du gravillons et du sable apportés là pour réaliser le mortier de chaux employé par les maçons. Sur la photographie, ci-contre, on distingue cette couche blanche de mortier de chaux interrompue à un endroit par un trou de poteau et des pierres de calage qui suggéreraient l'existence d'une structure en végétal, sur poteaux, accolée au rempart et qui pourrait être interprétée comme un éventuel "chemin de ronde" en bois, facilitant aux défenseurs l'accès au parapet du mur.
Un sondage, au premier plan de la photographie, a mis en évidence des niveaux antérieurs à la construction du rempart. Ce sondage révèle que les fondations du rempart ne dépassaient pas les 15 centimètres de profondeur, ce qui est fort peu et explique l'affaissement et l'inclinaison subis par ses maçonneries.
Le niveau le plus ancien observé dans ce sondage (où le substrat naturel n'a pas encore été atteint) présente une intéressante structure rubéfiée indéterminée qui est peut-être liée à un contexte d'habitat (ou bien, il pourrait s'agir des restes d'un enclos primitif en matériaux périssables). La céramique associée correspond à des tessons locaux portant des motifs d'impressions de coquillage ("arca") qui se rapportent à la tradition culturelle Hanyoundrou, des Xe-XIIIe siècles, chronologie confirmée à Acoua sur des niveaux similaires par deux datations RC14 réalisées en 2008. Plus rares, les rejets alimentaires sont composés de coquillages, fragments de coquilles d'oursins, ossements de poissons, ainsi que de petit bétail (chèvre ou mouton).
À gauche, sondage révélant un niveau d'occupation antérieur à la construction du rempart (dont les maçonneries sont visibles à droite de l'image) avec structure indéterminée composée d'un sol damé et rubéfié et avec présence de charbons de bois. À droite, tessons provenant de ce niveau, décorés d'impressions de coquillage "arca", ils sont caractéristiques des traditions culturelles les plus anciennes présentes à Mayotte.
M.Pauly
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The Society of Mayotte History and Archaeology (SHAM) was founded in 1990. For the last twenty years it has undertaken archaeological researches on the island in close connection with the French National Cultural Authorities (DRAC) and the Centre d'Etude et de Recherches sur l'océan Indien occidental et le Monde Austronésien (formerly CEROI, nowadays CROIMA, INALCO, Paris). Several archaeological sites have already been discovered and studied. Besides, the Society has played a part in the elaboration of the island archaeological map. Its members have published many articles and books.
Key words: archaeological excavations, Comoro Islands, Mayotte island, Indian Ocean, cultural traditions, Swahili and Malagasy civilisations, Austronesian civilisation, history,
mediaeval pottery, stone architecture, Dembeni civilisation, island civilisation, islamisation, shirazi sultanate, islamic civilisation, mediaeval trade, human migrations.
Ce site propose la découverte de la recherche archéologique à Mayotte, facette peu connue de son patrimoine historique, riche d'une occupation humaine attestée dès le VIIIe siècle après J-C.
C'est uniquement l'histoire ancienne ou pré-coloniale de Mayotte, antérieure à sa cession à la France en 1841 qui est présentée ici.