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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 15:13

vatomasina      La pointe tsiraka Kahirimtrou ("là où l'on de doit pas appeler quelqu'un") est un lieu rempli de superstitions. Il n'est pas rare, à Acoua, village de langue malgache sakalava, de rencontrer des personnes qui avouent n'avoir jamais voulu s'y rendre, par peur des esprits (djins).

    C'est en effet sur un magnifique plateau appelé "Antsiraka Boira", dominant le lagon, où poussent bananiers, orangers, manguiers, arbres à pain,...  où se situe un très ancien site archéologique, reconnaissable aux tessons de céramique ancienne qui jonchent le sol. Les plus anciens remontent à l'époque médiévale (tradition Hanyoundrou Xe-XIIIe siècle) et sont associés à un petit nombre d'importations moyen-orientales et malgaches. Quelques scories signalent l'existence d'une métallurgie ancienne.

      Ce site archéologique, probablement aussi ancien que le site voisin d'Agnala M'kiri (occupé dès la fin du IXe siècle), a la particularité de n'avoir ni vestige maçonné ni les traces de mosquée. Par contre, un énorme rocher trône au centre du site. Autour de celui-ci, la densité de tessons est la plus élevée, particulièrement sur ses faces Sud et Est. Il s'agit probablement d'une pierre sacrée malgache, "vatomasina", comme décrite en ces termes par Gevrey en 1870:

 

"Les Malgaches sont extrêmement supersticieux. Sur le route d'un de leurs villages, à Mayotte, il y avait une grosse pierre pour laquelle ils semblaient avoir une dévotion particulière, car elle était toujours couverte de fleurs, de colliers de grains, de fruits, quelquefois même de pièces de monnaie. Il est vrai que cette pierre se trouvait à côté d'un cimetère et qu'ils ont une peur horrible des morts."

 

     Cette description convient particulièrement à ce rocher d'Acoua, qui dès l'époque médiévale bénéficia d'un culte de rite malgache. Cette vatomasina atteste surtout de l'ancienneté du peuplement malgache à Acoua ce qui n'est pas sans conséquence pour l'histoire de Mayotte. Jusqu'à présent, il n'était connu que la pierre sacrée des Sakalaves du village de Choungi, au lieu-dit Andebe, mais aucun tesson ancien n'y était associé pour en déterminer l'ancienneté.

La vatomasina d'Acoua atteste donc, comme pour les sites de la période Dembeni (IXe-XIe siècle) de l'ancienneté du peuplement malgache à Mayotte que certains attribuaient à une période beaucoup plus récente.

      L'urbanisation actuelle hélas, est aux portes de ce site, et il est à craindre que cette pierre sacrée soit prochainement éclatée par des carriers comme une pierre identique, jadis sur le site d'Agnala Mkiri, qui recevait jusqu'à sa destruction, un culte aux djins.

     Une protection de ce site permettrait, assurément de préserver la trace médiévale des origines malgaches du peuplement de Mayotte.

 

Martial Pauly

 

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 18:29

Koungou      Sur ce site côtier très érodé par les vagues, des couches archéologiques sont encore visibles. Les niveaux les plus anciens, ont pu faire l'objet de deux datations RC14 en 1987 et 1989 à l'instigation des chercheurs Allibert et Fontes. Ces analyses ont fourni des résultats similaires qui constituent les datations les plus anciennes connues à ce jour pour Mayotte: les premières traces d'occupation humaine remontant au VIIIe siècle ap. J-C.

      Cependant, cette couche d'occupation a livré très peu de tessons et ceux-ci ne diffèrent pas des tessons découverts sur les sites voisins de Bagamoyo et Majicavo (IXe-XIIe siècles). Il n'est donc pas possible de s'appuyer sur ce site pour identifier l'origine de ces premiers habitants de Mayotte (Bantous ou Austronésiens?).

       Ce site a fait l'objet d'une fouille sur des sépultures du XIIe -XIIIe siècle par H.D.Liszkowski en 2003. La sépulture étudiée présente les mêmes caractéristiques que celles découvertes à la nécropole de Bagamoyo en Petite-Terre.

 


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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 12:51

couloir occidentalDécouvrez l'album photo de la mosquée de Polé, dont les ruines, situées en Petite Terre, Badamiers, présentent un excellent état de conservation.

Le site a fait l'objet d'une restauration par le CHAM ainsi qu'une fouille archéologique du puits par H.D.Liszkowski.

L'occupation de l'ancien village de Polé est attestée dès le XVe siècle et n'est donc pas contemporain de la nécropole de Bagamoyo. La mosquée est signalée en ruine dès 1838 par J.S. Leigh.

 

Mosquée de Pole (Badamiers) Mosquée de Pole (Badamiers)

 

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 12:18

ruinesDécouvrez l'album photo des ruines de la mosquée de Maouéni, la mosquée ancienne  la mieux conservée de Grande Terre.

Les ruines de la mosquée de Maouéni, XIVe-XVIIIe siècle

Les ruines de la mosquée de Maouéni, XIVe-XVIIIe siècle

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 14:05

Mtsamboro, au nord-ouest de l'île est une commune qui présente un grand intérêt archéologique. Évidemment, le visiteur qui en se promenant dans le village moderne, à la recherche de ce passé historique dans le quartier de Mjikura, serait certainement perplexe tant l'urbanisation actuelle a recouvert ces derniers vestiges. Sachez cependant que jusqu'en  2004, il était possible de voir, dans les ruelles encore en terre battue,  les arases de très nombreux murs témoignant d'un urbanisme ancien. La municipalité d'alors, avait fait le choix d'ensevelir ces derniers vestiges sous une couche de béton lors de l'aménagement de ces ruelles: Assurément préservés (il faut être optimiste quand on fait de la recherche archéologique à Mayotte) ces vestiges sont malheureusement actuellement invisibles pour le visiteur!

Mtsamboro cumule les découvertes archéologiques fortuites où bien sûr, les archéologues ne sont jamais conviés! Toutefois, le témoignage de personnes de bonnes volontés mettant de côté les superstitions, nous révèlent que tantôt ici, des squelettes ont été découverts, que là, des murs en corail sont apparus, etc. Curieuse dévotion au passé qui interdit son étude archéologique mais qui autorise sa destruction!

Heureusement pour la science, en 1996, Daniel Liszkowski avait mené un relevé schématique de ces vestiges et entrepris un sondage qui avait permis de révéler une portion d'habitation en pierre bien datée aujourd'hui des XVIe-XVIIe siècles. Mais Mtsamboro est loin d'avoir livré tous ses secrets: car son urbanisme est probablement aussi ancien que celui d'Acoua (XIVe-XVe siècle), à la différence que Mtsamboro, ayant joué le rôle de capitale au XVe siècle, conserve les vestiges d'un pangahari (palais) encore visible dans la topographie urbaine grâce à une butte de décombres.

Mtsamboro-mjikura

Relevé des vestiges de Mtsamboro.

 

Les sources écrites et orales disponibles concordent pour faire de Mtsamboro le lieu d'installation du premier prince shirazi, Attumani ben Mohamed, à la fin du XVe siècle. De son mariage avec la fille du fani de Mtsamboro, Mwalimu Poro, il fonda le premier lignage aristocratique qui est à l'origine de la dynastie de sultans shirazi de Mayotte. Ce Mwalimu Poro (de Mwalimu, sorcier, et Poro, de Pir, qui désigne les chefs de confrérie soufi) joua probablement un rôle important à Mayotte en cette fin de XVe siècle puisqu'il est présenté dans les chroniques comme le "Cheik de tout le pays", et je pense qu'il fut ainsi le dernier beja de Mayotte (exerçant une royauté traditionnelle avant l'établissement du sultanat shirazi).

 

Lors du déplacement de la capitale du sultanat de Mtsamboro à Tsingoni sous le sultan Isa ben Mohamed, vers 1530, Mtsamboro resta une localité importante de Mayotte, en tant que principal port tant pour les boutres arabes que pour les navires européens. On sait que des Hollandais visitèrent cette ville en 1599 selon le récit de Davis. La ville figure par la suite sur des cartes sous le nom "Davis' town". En 1680, Mtsamboro est indiqué sur la carte de Hacke sous le nom "Maricham". La fouille de Liszkowski nous indique qu'à cette date, la ville présente l'aspect d'une médina arabe en pierre mais, sur le déclin: dès la fin du XVIIe siècle, les maisons en pierre tombent en ruine et l'habitat en végétal sur ces ruines prédominent. Nos observations à Acoua confirment ce déclin généralisé des sites urbains de Mayotte dès la fin du XVIIe siècle.

 

 

colonnes palais-copie-1 Arases mur palais

Photographies des vestiges actuels du palais: deux structures apparaissent dans cette zone de forts décombres: une arase de mur maçonné et un alignement de colonnes basaltiques couchées que j'interprète comme les restes d'un escalier monumental permettant l'accès à l'étage du palais (la tradition villageoise y voyant là les restes d'un souterrains reliant le palais à la mosquée, souterrains qui du reste tout le monde connaît mais n'a jamais vu).

Colonne Mjikura-copie-1

Photographie prise en 2007 d'une énigmatique colonne basaltique dressée, côté mer, le long de l'axe principal qui traverse l'ancienne cité de Mtsamboro. Info prise, il s'agit d'une colonne basaltique provenant de la jetée de Dzoumonyé ramenée en 1989 par un groupe de jeunes du village!

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11 février 2011 5 11 /02 /février /2011 10:29

sites VIIIe-Xe sites archaïques

L'occupation humaine à Mayotte est attestée dès le VIIIe siècle sur le site de Koungou(âge RC14 1200BP±60 soit 813 après JC± 81ans). Avant le Xe siècle, cinq autres sites sont connus: Dembeni I, Majicavo, Hanyoundrrou, Bagamoyo et Acoua. Le nombre de sites augmente considérablement par la suite entre le Xe et XIIIe siècle.

Sites époque classique phase Polé Tsundzu

Entre le XIVe et XVIIIe siècle, l'île est déjà bien peuplée. D'après les écrits du Portugais Baltazar Lobo da Suza de 1557, la population de Mayotte est estimée à 12 000 habitants. La démographie s'inverse radicalement à partir du XVIIIe siècle (voir l'article sur les causes de l'effondrement de la civilisation classique) et seules quelques rares localités sont à cette époque encore occupées.

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 04:48

intérieur

 

 

Tsingoni, à la côte ouest de Mayotte, fut, au XVIe-XVIIIe siècle, la capitale du sultanat de Mayotte. On sait qu’en tant que telle, elle était entourée d’un rempart, possédait un palais et un tissu urbain de type médina bien qu’aucune opération archéologique n’ait pu à ce jour en confirmer les traces. Seules la mosquée royale ainsi que quelques tombes vénérables nous témoignent de cette époque et constituent, à ce titre, les vestiges les plus remarquables du sultanat shirazi à Mayotte. Encore en activité aujourd’hui, cette mosquée, si elle n’est pas la plus ancienne de Mayotte, est néanmoins la plus ancienne mosquée de France en activité.

 

plan de tsingoniLa mosquée a été considérablement remaniée depuis le XIXe siècle à l’image de l’extension actuelle qui a supplanté le patio réalisé dans les années 1980. Il est toutefois possible de recueillir des indices pour restituer l’aspect initial de l’édifice. Le retrait de maçonnerie et l’inclinaison du mur oriental et la présence d’un pilier dans la salle de prière apportent la preuve qu’initialement, la mosquée était couverte d’une toiture plate ou en terrasse dont l’accès se faisait par l’extérieur par l’intermédiaire d’un petit escalier engagé dans les maçonneries du mihrab (niche de la qibla, mur donnant l’orientation de la Mecque).

Globalement, toute la moitié sud-ouest de l’édifice est une reconstruction postérieure aux années 1860, le reste, dont le mihrab, datant de la première moitié du XVIe siècle.

Son plan initial, peu éloigné de son aspect actuel, reprend les caractéristiques des mosquées anciennes de Mayotte et plus généralement de l’aire culturelle swahili: une salle de prière encadrée par deux couloirs latéraux. La toiture en terrasse devait permettre la récupération des eaux de pluie pour alimenter une citerne placée jadis au sud de l’édifice, dans l’actuelle extension réservée aux femmes.

Les ablutions se pratiquaient déjà à l’ouest de l’édifice où se situent les portes de la mosquée, côté village.

Les murs sont massifs, d’une épaisseur remarquable s’expliquant par la nécessité de supporter le poids de la terrasse. La salle de prière est éclairée, au dessus du minbar (escalier de prêche) par une ouverture carrée tandis que les couloirs latéraux sont éclairés par des ouvertures ogivales.  Seule la porte nord est d’origine, elle est surmontée d’un arc cissoïde outrepassé et l’on peut encore voir, côté intérieur, des éléments en bois encastrés (crapaudines) en haut de part et d’autre de l’ouverture, et servant de gonds aux portes initiales.

Le pilier conservé dans la salle de prière appartenait à une rangée de trois ou quatre piliers, à base et chapiteau cubique mais avec un fut de section octogonale, typiques de l’architecture swahili. Ces piliers portaient des architraves sur lesquelles étaient posées les solives supportant la terrasse en pierre.

 

tsingoni restitution 1538

Proposition de restitution des élévations de la mosquée (coupe transversale de la salle de prière) selon l'état du XVIe siècle.

 

mihrabLe mihrab est par sa décoration l’élément le plus remarquable de l’édifice. Il est composé de blocs de corail sculptés (porites) intégrés au mur de la qibla, suggérant ainsi l’existence d’une mosquée initiale remaniée lors de la réalisation du mihrab en 1538. Cette hypothèse de l’existence d’une mosquée initiale est renforcée par les écrits de Piri Reis qui cite dès 1521 l’existence à «Chinkoni» de sheiks chaféites. De plus, l’ouverture carrée qui éclaire le minbar a un aspect plus rustique que les ouvertures ogivales des couloirs latéraux et témoignerait de ce premier édifice.

La baie du mihrab est surmontée d’un arc trèflé et d’un arc cissoïde, tandis que des moulures plates et torsadées rythment sa façade et l’intérieur de la niche. Des caissons portent des décors géométriques étoilés que l’on aperçoit malgré l’épaisse couche de peinture. Peut-être selon l’ancienne tradition musulmane utilisant la métaphore «porte du ciel» pour désigner le mihrab. Une voûte coffrée et cannelurée en « cul de four » coiffe la niche.  

Deux inscriptions sont scellées dans chaque piédroit du mihrab et commémorent sa réalisation sous le règne du sultan Issa/Ali ben Mohamed, en 944 de l’Hégire (le 14 avril 1538 exactement). À cette date, Tsingoni est devenue la capitale des sultans de Mayotte.

 

À noter que le mihrab de Tsingoni est très proche de celui de la mosquée shirazi de Domoni (Anjouan) ou encore de celui aujourd'hui ruiné de la mosquée shirazi de Sima. Cette parenté s'explique par une chronologie de réalisation similaire: le mihrab de Domoni étant attribué au sultan Mohamed ben Hassan, le père du sultan Ali/Issa ben Mohamed.

mihrab domoni

Mihrab de Domoni (Anjouan), photo M.Pauly 2006.

 
 
relevé Mihrab  moulures moulure torsades caissons sculptés restitution frise métopes
De Gauche à droite: Relevé du mihrab de Tsingoni, détail des moulures et des décors géométriques des caissons, restitution du décor des caissons. Docs et photos M.Pauly 2007.
  
trèfle et cissoïde cul-de-four canneluré façade orientale ouverture cisoïde
De Gauche à droite: détail des arcs trèflé et cissoïde de la baie du mihrab, voûte coffrée du mihrab, façade extérieure orientale du XVIe siècle, détail d'une fenêtre ogivale. Photos, M.Pauly 2007. 
  
  

sepultures shiraziLes mausolées situés à l’extérieur présentent un grand intérêt: ils datent vraisemblablement du XVIe siècle et sont apparentés aux sépultures à dôme de l’archipel de Lamu (Kenya). Ils se présentent comme une habitation en miniature, la toiture pyramidale couverte en végétal est suggérée par du corail laissé brut. Les murs sont décorés d’incrustations de bols et il semble (d’après Gevrey 1870) que le tombeau d’Issa/Ali aujourd’hui remanié et situé près de l’entrée nord, était percé d’ouvertures trèflées. Il est possible de pénétrer dans chaque mausolées par une petite porte surmontée d’un arc cissoïde. On distingue alors à l’intérieur une voûte coffrée en arrête (la trame de la natte  ayant servi au coffrage se distingue assez nettement).

 

Malheureusement, l'entretien de ce patrimoine n'est pas à la hauteur de son importance et l'intérieur des tombeaux est un véritable dépotoir.

 

 

détail porte mausolée chanfrein incrustation import voûte d'arrête mausolée tombeau d'Haïssa

De gauche à droite: détails des mausolées: porte à arc cissoïde, exemple de bol incrusté dans les maçonneries, voûte intérieure, tombeau remanié du sultan Issa/Ali ben Mohamed. Photos, M.Pauly 2007.

 

 

Liens vers d'autres articles évoquant Tsingoni:

Les inscriptions de la mosquée shirazi de Tsingoni

Tsingoni, l'ancienne capitale des sultans de Mayotte

Les causes de l'effondrement de la civilisation classique à Mayotte, 1680-1820

 

Martial Pauly

 

 

 
 

 

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2 février 2011 3 02 /02 /février /2011 06:59

 

Le site de Dembeni n’est pas le plus ancien de l’île puisque son occupation débute après 850, mais il est certainement, par sa superficie et la nature exemplaire de ses vestiges, le site médiéval le plus important de Mayotte, et probablement, son ancienne capitale entre les IXe et XIIe siècles.

 

vueaérienneDembeni

                                                         vue aérienne de la vallée de Dembeni, M.Pauly 2007


Il fut découvert en 1975 par l’équipe d’archéologues américains (université du Michigan) dirigée par H.T. Wright qui l’attribuèrent à la période culturelle Hanyoundrou, puis fouillé à plusieurs reprises par C.Allibert et son équipe jusqu’en 1991. Un archéologue de l’INRAP, B. Desachy, y mena une fouille en 1999 et 2000 en vue de former des agents du patrimoine.

Le site est malheureusement en cours d’urbanisation et une grande partie est menacée par les aménagements.

 

Dembeni, malgré son ampleur, ne présente aucun vestige maçonné significatif puisque la construction en végétal semble avoir été privilégiée avant le XIIe siècle. La fouille archéologique de 2000 a néanmoins mis en évidence les arases d'un muret en corail appartennant à une structure indéterminée (l'interprétation comme mosquée paraît très attive) correspondant à des constructions employant des soubassements en pierre (moellons de corail non hourdés). Ce site se présente donc comme un plateau de 5 hectares où les travaux agricoles font surgir du sol quantité de tessons. Des aménagements pierreux occupent néanmoins le bord du plateau et s’avèraient être des centaines de fours métallurgiques rudimentaires. Claude Allibert qui conduisit la fouille sur ceux-ci les décrit ainsi:

 

Les récentes fouilles menées à Mayotte apportent la preuve que la métallurgie du fer y était menée dès le X-XIe siècle à grande échelle. Nous avons pu confirmer cette industrie qui s’opérait dans des batteries de fours métallurgiques de réduction présentant des souffleries à piston de type austronésien. Le système de ventilation forcée utilisait des tuyères enterrées moulées qui rejoignaient des puits verticaux creusés dans le sol. Ces fours étaient probablement reliés entre eux par ces systèmes de ventilation couplés. Le chargement en minerai et en charbon de bois se faisait par le haut pour ne pas avoir à reconstruire le système de ventilation à chaque opération technique. On concevait le four non pas comme un ensemble sur lequel on pouvait greffer des tuyères et des souffleries indépendantes et amovibles, avec un écoulement du métal par le devant, mais plutôt comme un ensemble à souffleries enterrées dont probablement seul le sommet était remplaçable ou destructible pour accéder au foyer où le massiot était récupéré. La nature du minerai n’a pu être déterminée mais il est probable que ce fut le sol latéritique volcanique de décomposition qui fut utilise.

Claude Allibert, La Profondeur de l’incidence du continent noir sur l’océan Indien occidental, Regard sur l’Afrique 2002

 

Cependant, cette interprétation des empierrements du plateau de Dembeni comme correspondant à des "batteries de fours métallurgiques" serait attive, ces pierriers, dont une section a été fouillée en 1999 par Desachy correspondant en réalité à un enclos en pierres sèches entourant le site à partir du XIe siècle. Cette dernière interprétation rejoint l'opinion de Wright (1993). Cet enclos en pierre ayant recouvert des niveaux plus anciens conservant les traces d'activités métallurgiques.

Les niveaux archéologiques datés par des objets importés des IXe-XIe siècles fournissent en effet la preuve d'une métallurgie intense sur ce site durant cette période (présence de scories, creusets, massiots et objets en fer produits localement). 

Le fer produit à Dembeni servit tant aux besoins des forgerons mahorais qu’à l’exportation en direction de l’Inde où il avait excellente réputation pour la fabrication des armes. Le géographe arabe du XIIe siècle, Al Idrisi, dans sa géographie du monde dédiée au roi Roger II de Sicile, évoque la production métallurgique dans le canal du Mozambique (pays de Sofala) en ces termes:

 

« Il faut dire que le pays de Sofala  renferme, dans ses montagnes, de nombreuses mines de fer et les gens des îles du Javaga  et autres insulaires qui les entourent viennent là chercher ce fer pour, ensuite, l’exporter jusque dans l’Inde tout entière et dans les îles qui s’y rattachent. Ils en retirent un gros profit car le fer, en Inde, est la matière principale de tout son trafic commercial et, en outre, bien qu’il y ait du fer dans les îles de l’Inde et des mines exploitées, celui de Sofala est plus abondant (à la fonte), plus pur et plus malléable. Il y a aussi que les Hindous excellent dans la composition des mélanges d’ingrédients ajoutés au fer en fusion pour en obtenir ce métal dit hindi qui est travaillé dans leurs forges produisant les sabres.» 

 

embouts     polissoir

À gauche, fragments de tuyères, à droite, polissoir à perles (M.Pauly 2007)

lance

Pointe de lance (H.D.Liszkowski 1997)

 

La participation de Mayotte au grand commerce se traduit ainsi par la profusion, sur ce site, des importations malgaches, africaines, islamiques et chinoises (par l’intermédiaire des commerçants du Golfe persique).

Très tôt, les chercheurs remarquèrent l’abondance à Dembeni, d’une céramique régionale, ayant la particularité d’être recouverte d’un engobe rouge brillant et de lignes de graphite. Celle-ci se retrouve du Nord-Ouest de Madagascar aux cités swahili de la côte est africaine, et des exemplaires ont même été retrouvés au Yémen lors des fouilles archéologiques du site de Sharma. Sa production cesse au XIe siècle et une origine comorienne à cette poterie est admise bien que la graphite employée ne peut provenir que de Madagascar. Elle témoigne de la vitalité des réseaux d’échange à l’époque Dembeni (Xe-XIe siècle).

 

rouge graphité graphitée

Exemplaires de poteries "rouge Dembeni" à décor graphité (M.Pauly 2010)

 

Qui étaient les Dembeniens ? Cette question passionnante pose le problème des origines de la population des Comores. 

 

Les auteurs arabes contemporains de la civilisation Dembeni, tels Maçundi et Borzog Ibn Shahriyar nous apprennent qu’au-delà du pays des Zenj (les Noirs bantou) est le pays des Waqwaq (austronésiens). Borzog Ibn Shahriyar dans sa compilation de récits de marins écrite au Xe siècle rapporte cet intéressant témoignage confirmant la présence austronésienne à la côte africaine dès cette époque:

 

 « Ibn Lakis m’a rapporté qu’on a vu les gens du Wakwak faire des choses stupéfiantes. C’est ainsi qu’en 334 de l'Hégire (945-46) ils leur arrivèrent dans un millier d’embarcations et les combattirent avec la dernière vigueur, sans toutefois pouvoir en venir à bout car Kanbalu (1) est entourée d’un robuste mur d’enceinte autour duquel s’étend l’estuaire plein d’eau de la mer, si bien que Kanbalu  est au milieu de cet estuaire comme une puissante citadelle. Des gens du Wakwak ayant abordé 

chez eux, ils leur demandèrent pourquoi ils étaient venus précisément là et non ailleurs. Ils répondirent que c’était parce qu’on trouvait chez eux des produits qui convenaient à leur pays et à la Chine, comme l’ivoire, l’écaille, les peaux de panthères, l’ambre gris, et parce qu’ils recherchaient les Zenj(2), à cause de la facilité avec laquelle ils supportaient l’esclavage et à cause de leur force physique. Ils dirent qu’ils étaient venus d’une distance d’une année de voyage, qu’ils avaient pillé des îles situées à six jours de route de Kanbalu et s’étaient rendus maîtres d’un certain nombre de villages et de villes de Sofala des Zeng, sans parler d’autres qu’on ne connaissait pas. si ces gens-là disaient vrai et si leur rapport était exact, à savoir qu’ils étaient venus d’une distance d’une année de route, cela confirmerait ce que disait Ibn Lakis des îles du Wakwak: qu’elles sont situées en face de la Chine. » 

Borzog ibn Chahriyar, Les merveilles de l’Inde, Xe siècle

1:Kanbalu est une île de la côte africaine, probablement l'île de Pemba où un site archéologique du Xe siècle se trouve à Mkumbuu.

2: Zenj signifie en arabe les Noirs: il s'agit des populations bantou à l'origine de la civilisation swahili.

 

William Ellis, Three visits to Madagascar during the yearsCette gravure tirée des voyages de William Ellis (William Ellis, Three visits to Madagascar during the years 1853-1854-1856, New York, 1859, p. 294), présente les activités métallurgiques traditionnelles à Madagascar. On y reconnaît la même technologie austronésienne (notamment ventilation forcée par soufflets verticaux à piston) que celle mise en évidence sur les sites de Bagamoyo par le professeur Claude Allibert et Alain et Jacqueline Argant. En 1990, Claude Allibert pense identifier cette technologie à Dembeni.


La découverte à Dembeni de caractères culturels typiquement malgaches (métallurgie peut-être de technologie austronésienne comme à Bagamoyo, l’utilisation magico-religieuse du quartz hyalin, importations malgaches tels les vases en chloritoschiste, culture du riz,  et introduction d’espèces animales provenant de Madagascar: tortue terrestre, lémurien et tenrec ainsi que l’escargot malgache Achatina fulica) ajoutent aux témoignages des écrits arabes un faisceau de preuves confirmant la présence austronésienne à Mayotte dès le IXe siècle.

Mais la présence de populations bantou n’est pas à exclure, car elle est elle-aussi confirmée à Dembeni mais aussi sur d’autres sites médiévaux de Mayotte, Majicavo et Kungu, par la présence d’une céramique de culture bantou, la TIW (triangular incised ware). La métallurgie est pratiquée en Afrique de l’est de longue date par les populations bantou qui l’ont introduite, si bien que selon C.Allibert, la recherche d’esclaves bantou par les Austronésiens et rapportée par Ibn Lakis au Xe siècle peut se comprendre par la recherche de main-d’oeuvre pour les opérations métallurgiques et expliquerait en partie le peuplement africain des Comores.

 

Ce travail de métallurgie dût demander une abondante et solide main-d’œuvre tant pour les opérations préparatoires (abattage des arbres, préparation du charbon de bois) que pour l’acte métallurgique. Or, c’est précisément à cette date que les Austronésiens viennent chercher des esclaves à la côte africaine. Étant donné la présence affirmée d’une métallurgie aux Comores mais également d’une recherche d’esclaves par les Austronésiens, je fais l’hypothèse que ces esclaves avaient pour rôle de participer à cette métallurgie. C’était la raison de leur transport vers ces îles que les auteurs nomment Komr (le groupe comoro malgache) sur une distance assez courte. On n’emmènera pas loin ni le minerai (si transport du minerai il y a car la latérite des sols volcaniques peut suffire) ni les hommes, suffisamment à l’écart des côtes africaines pour qu’ils soient contrôlables.

Claude Allibert, La Profondeur de l’incidence du continent noir sur l’océan Indien occidental, Regard sur l’Afrique 2002

 

 

D’autre part, il n’aura pas échappé que la navigation d’île en île dans le canal du Mozambique permet d’atteindre la côte de Madagascar aisément depuis l’Afrique, y compris pour de modestes embarcations de pêcheurs côtiers.

La recherche de traces d’un  éventuel peuplement ancien anime actuellement l’équipe de Félix Chami en Grande Comore sans que pour l’heure il n’y ait eu de certitudes sur la datation des vestiges découverts à Malé. Cependant, les écrits greco-romains des auteurs des premiers siècles de l’ère chrétienne, Pline l’Ancien et l’anonyme du Périple de la Mer Erythrée apportent comme le souligne C.Allibert, des toponymes pour la région du canal du Mozambique renvoyant au commerce de l’écaille de tortue. Ceci laisse entendre qu’une présence, au moins saisonnière, de pêcheur africains motivés par le commerce de l’écaille de tortue, n’est certainement pas improbable et constituerait ainsi dès le premier millénaire de notre ère, le premier fond humain africain s’établissant aux Comores. 

Ainsi, Dembeni illustre comme d’autres sites contemporains à Mayotte et dans l’archipel des Comores, la rencontre du monde africain bantou et du monde austronésien.


 Annexe: Bilan des fouilles de l'INRAP sur le site de Dembeni (campagnes de fouille de 1999 et 2000):

INRAP Dembeni

 

Bibliographie:

 

Allibert C.

1993 "Archéologie du 8ème au 13ème siècle à Mayotte, Paris, INALCO, Fondation pour l'étude de l'archéologie de Mayotte, Dossier n°1.

Allibert C., Argant A.&J. 

1983 " Le site de Bagamoyo",Études Océan Indien n°2, Paris, INALCO,pp.2-40.

1989 " Le site de Dembeni", Études Océan Indien n°11, Paris, INALCO,pp.63-172.

Allibert C,. Liszkowski H.D., Pichard J.-C., Issouf S.

1993 "Dembeni 3, campagne de fouille de 1990", Paris INALCO, Fondation pour l'étude de l'archéologie de Mayotte, dossier n°2.

Allibert C. Vérin P.

1993 "Madagascar et les Comores: le premier peuplement", Archeologia n°200. pp.64-77.

Wright H.T

1984 "Early seafarers on the Comoro Islands: the Dembeni phase of the IXe-Xth centuries A.D.", Azania XIX, Nairobi, BIEA, pp.13-59.

1993 "Trade and politics on the eastern littoral of Africa, AD 800-1300", in The Archaeology of Africa, Food, Metals and Towns, Routledge London and New-York: 658-672

 

 

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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 11:29

Bagamoyo est un important site archéologique de Petite Terre, occupant toute l'étendue du littoral des Badamiers au «boulevard des Crabes».

Bagamoyo IIUn village (IXe-XIIIe siècle) était installé sur toute l’étendue de cette plage (il ne reste aujourd’hui plus aucun vestige de cette ancienne localité, le sable de la dune ayant été depuis, totalement prélevé pour les constructions de Dzaoudzi, Labattoir et Pamandzi). Toutefois à partir de 1975, l’étude archéologique avait débuté avec  Claude Allibert, Alain et Jacqueline Argant, et une fouille fut conduite en 1979 et 1981, révélant notamment un four à chaux du XIe siècle (RC14 sur vertèbre de poisson associée et datée 969/1111 de l’ère chrétienne) associé à une céramique complète, élément supérieur du four, dite depuis, «vase de Bagamoyo», l’un des plus beaux témoignages de céramique comorienne médiévale découvert à ce jour. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

fourbagamoyo         Projet1

 

 

 

À gauche: restitution du four à chaux de Bagamoyo (Xe-XIIe siècle), de technologie austronésienne, la ventilation s'opérait par quatre tuyères enterrées alimentées en air par quatre bambous posés à la verticale dans lesquels étaient actionnés des pistons. Le sommet du four était composé d'une céramique renversée dont le fond était percé pour faire échapper les fumées.

La chaux ainsi produite à partir du calcaire de coquille était soit destinée à la consommation de bétel, soit au calfatage des coques des navires.

À droite: le vase de Bagamoyo.

 

cranemakwabagamoyoLes crânes rejetés par la marée et étudiés par les chercheurs ont montré l’hétérogénéité des populations inhumées sur ce site: Austronésiens, Sémites et Bantous (avec une dentition particulière puisque les dents sont taillées en pointe, voir ci-contre), ce qui fait de Bagamoyo un site majeur pour comprendre l’origine des populations qui peuplèrent l’archipel à l’époque médiévale. Rappelons, que le toponyme «Bagamoyo» est présent en Tanzanie, près de Dar-es-Salam et que cet ancien port était une plaque tournante de la traite des esclaves.

 

 

 

 


 

La fouille de lʼINRAP (Courtaud 1995 et 1999) a confirmé lʼexistence de sépultures musulmanes pour les XIIe-XIIIe siècles par datation RC14 (rapport conservé par la MAPAT). Une sépulture de la zone sud -la plus ancienne-,  également de rite musulman,  a fourni une datation RC14 du Xe siècle, et à ce titre, constituerait le plus ancien témoignage de la présence de l'islam dans l'archipel des Comores.

 Nous livrons ici un extrait du résumé fourni par le site Internet du laboratoire d’anthropologie de Bordeaux d’où sont tirées les photographies de la fouille de 1999:

 

http://www.u-bordeaux1.fr/anthropologie/Pages/Fouilles/Bagamoyo/Bagamoyo.htm

Nous avons porté nos efforts sur des sondages et des coupes stratigraphiques visant à appréhender l'étendue et le degré de conservation des structures et des vestiges enfouis. En parallèle, nous avons effectué la fouille de plusieurs tombes. L'architecture funéraire tout comme la disposition des défunts s'accordent parfaitement avec le rituel musulman. Une structure intacte se caractérise par une architecture funéraire de surface constituée d'une rangée de dalles verticales qui vient délimiter la fosse sépulcrale. Elles constituent une rangée où parfois les éléments se chevauchent pour former un double alignement. Leur taille verticale varie de 20 à 50 cm pour les plus importantes. L'orientation générale, nord nord-est / sud sud-ouest, n'a, semble t-il, pas fait l'objet d'une attention particulière car les variations sont importantes. Le cadavre est déposé en décubitus latéral droit ou en position intermédiaire qui tend vers un décubitus ventral ou décubitus dorsal Le crâne occupe l'extrémité nord-est de la tombe avec la face qui regarde vers le nord (vers la Mecque). Les membres supérieurs sont légèrement fléchis avec les mains qui viennent se rejoindre au niveau du bassin ou de l'extrémité proximale des fémurs. Les membres inférieurs sont également parfois fléchis. Le crâne et le calcanéus droit s'appuient parfois sur un galet. Le mobilier funéraire est absent, excepté dans la partie supérieure du remplissage où ont été parfois déposés des brûle-parfums.

Fouille de Bagamoyo  sépulture musulmane

 Equipe scientifique : P. Courtaud - UMR 5199 CNRS - Laboratoire d'anthropologie F. Convertini - INRAP Méditerranée - 12, rue Régale - 30000 NIMES B. Desachy - DRAC Picardie M. Belardi - INRAP Nord-Picardie - 518, rue St-Fuscien -80000 AMIENS A. Bacar, B. Hamissi et M. M'Trengoueni - MAPAT - Collectivité Territoriale - Délégation des Affaires Culturelles - Mayotte H. Bocherens - UMR 5554 -Inst. Des Sciences de l'Evolution -Montpellier II - (Etude de paléonutrition) Department of GeoSciences - University of Arizona -Tucson (datation 14C) 

 

 

La mangrove de Bagamoyo, préservée par le conservatoire du littoral, recouvre peu à peu le site archéologique en assurant ainsi sa préservation

 tombes Bagamoyo2

 

Références:

Claude Allibert, Alain et Jacqueline Argant

1983 "le site de Bagamoyo, Mayotte" Études de l'Océan Indien n°2, Inalco Paris.

Patrice Courtaud

1998, le site de Bagamoyo, Mayotte, Petite-Terre, non publié, rapport d’opération archéologique remis aux affaires culturelles, 48 pages plus annexes.

2000, le site de Bagamoyo, document final de synthèse, non publié, rapport d’opération archéologique remis aux affaires culturelles, 62 pages plus annexes.

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25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 05:20

L’étude archéologique du site Acoua-Agnala M’kiri a débuté en 2005 par une prospection avec récolte de tessons et reconnaissance de quelques
arases de murs. La construction sur ce site d’une habitation a fait apparaître lors du creusement des fondations de nombreuses arases de murs maçonnés. Une rapide fouille de sauvegarde effectuée
en 2006 a permis d’en recueillir le plan tandis que deux sondages ont montré l’existence de niveaux archéologiques antérieurs. Le prélèvement de charbon dans ces niveaux a montré par la suite,
après analyse RC14, que ceux-ci dataient du XIVe siècle. L’année suivante ainsi qu’en 2008, la fouille a été étendue à une plus grande superficie pour mieux comprendre le plan et la nature des
édifices auxquels les arases de murs appartenaient. La densité de murs s’est avérée très surprenante et un quartier d’habitation en pierre nous est apparu. La poursuite ponctuelle de la fouille
sous ces constructions a révélé l’existence d’autres structures d’habitat remontant au XIVe siècle. Le substrat naturel latéritique ayant alors été atteint, il n’a pas été possible, en ce lieu,
de remonter plus haut dans la chronologie d’occupation du site. Par contre l’étude de la stratigraphie révélée non loin par le déblais de la route nationale, comportant notamment une portion
visible du rempart, a permis de mettre en évidence des niveaux beaucoup plus anciens complétant notre connaissance du site.





À l’aune de ces découvertes, il est possible de reconstituer 10 phases d’occupation du IXe au XVIIe siècle.



La base de la stratigraphie étudiée en 2008 composée du substrat latéritique associé à quelques tessons de tradition Hanyoundrou
(décorés d’impressions de coquillage arca) et de charbons dont la datation par analyse RC14 a fourni la fourchette chronologique située autour de l'an Mil. 



 





Tesson de la période archaïque, de culture Hanyoundrou, Xe-XIIIe siècle, décoré d'impressions de coquillage
arca. Acoua Agnala M'Kiri, photographie M.Pauly 2008



une couche rubéfiée observée sur toute l’étendue du site, sans doute suite à un violent incendie, a livré des traces d’habitat en végétal avec trou de
poteau, des tessons de tradition Hanyoundrou et un tesson d’importation moyen-oriental de type sgraffiato. Ces deux premiers niveaux d’occupation sont contemporains de la
culture Dembeni pendant laquelle des petites communautés villageoises débutent la mise en valeur agricole de l’île.



Tesson de type sgraffiato (Golfe persique), Xe-XIe siècle. Acoua Agnala M'kiri, photographie M.Pauly 2008.



Le niveau ultérieur est celui de la construction du rempart: il s’agit d’un mur maçonné de 70 cm de large construit à l’aide de blocs de basalte liés par un
solide mortier de chaux. Un prélèvement de charbon piégé dans ce mortier nous a fourni par datation RC14 son époque de construction, la fin du XIIe siècle.  Alors que les tessons
de la phase culturelle archaïque sont présents uniquement à l’extrémité sud du site (là où se regroupait l’habitat jusqu’au XIIIe siècle), le rempart du XIIe siècle délimite déjà une plus vaste
étendue de quatre hectares. Il est fort probable qu’il ait été construit initialement pour protéger le village mais aussi pour offrir une protection aux troupeaux réunis dans ce vaste enclos.
Un seul passage permettant son franchissement a été reconnu à l’extrémité sud du site, et offrait un accès à la plage (il sera fouillé lors de la campagne de fouille de 2011). Il est pour
l’heure le plus ancien témoignage d’ouvrage fortifié des Comores et permet de faire remonter au XIe siècle, l’existence d’un pouvoir local annonçant l’époque des chefferies.






Aperçu du rempart révélé par le déblais de la route, photographie M.Pauly 2008.



Le rempart, dans les couches ultérieures qui se poursuivent jusqu’à l’abandon du site, fait office de dépotoir et il est fort probable que dès le XIVe
siècle, des brèches réalisées de toutes parts assurent le passage vers des quartiers d’habitat établis à l’extérieur de l’enceinte.


À partir de la fin du XIIIe siècle, une nouvelle tradition culturelle apparaît dans la production céramique, caractérisée par l’abandon rapide des décors de
la période archaïque, et l’apparition de décors en relief (côtes ou boules) rajoutés sur la carène des récipients. Nous avons attribué à cette tradition culturelle le nom d’Acoua, bien
que H.T. Wright l’ait d’abord baptisée culture Kaweni initialement. Les niveaux datés du XIVe siècle voient la construction d’un édifice en pierre et corail, dont le plan
malheureusement tronqué par le déblais de la route et l’orientation plein nord de celui-ci rend probable son interprétation comme mosquée. L’un des murs, incendié, est associé à une couche de
cendre datée par analyse RC14 du XIVe siècle. Cet édifice a néanmoins eu une longue pérennité et n’a pas été recouvert, comme d’autres, par des constructions ultérieures. Les niveaux comportant
de la céramique du XIVe siècle ont aussi livré des structures d’habitat, l’une en végétal sur sol en terre battue, associée à un petit four domestique à sole demi-circulaire et à paroi en
torchis, une seconde habitation plus tardive présente des soubassements maçonnés pour ses murs pignons et un sol intérieur surélevé par une épaisse couche de sable tandis que des constructions
plus légères avec poteaux en bois l’environnaient. Un second bâtiment en pierre, fouillé qu’en partie, existait non loin avant d’être intégré aux constructions de la phase suivante.

       


Vestiges du XIVe siècle: De gauche à droite: arases d'une probable mosquée, angle d'une habitation, four domestique à sole demi-circulaire. Photographies M.Pauly 2006 et 2008.


    


Céramiques locales caractéristiques du XIVe siècle
(tradition Acoua), comportant des décors en relief, côtes ou boules ainsi qu'une double rangée d'impressions ponctiformes à la base du col.



À partir du XVe siècle, la physionomie du quartier change radicalement avec l’usage plus systématique des techniques de construction en pierre: deux vastes
enclos familiaux maçonnés sont construits sans que leur plan ne tienne réellement compte de l’implantation antérieure des anciennes habitations. Ces changements accompagnent l’apparition d’une
nouvelle tradition culturelle dans la céramique, la tradition Chingoni, qui se substitue à la tradition Acoua. L’espace délimité par ces enclos maçonnés se structure autour
d’une cour intérieure autour de laquelle des bâtiments tantôt en pierre, tantôt en végétal s’organisent. Un grand soin est apporté à une salle d’honneur où sont réalisées des banquettes
maçonnées (baraza). Une fosse à chaux, directement placée dans l’une des cours a fourni aux maçons la chaux nécessaire à la réalisation des mortiers. Les arases des habitations du XIVe
siècle, tout comme les rochers naturels présents sur la parcelle n’ont pas été utilisés lors de la construction, les maçons préférant ensevelir ces vestiges (par superstition?) sous une couche
de remblais.






Aperçu de la fouille d'une grande habitation de la phase Chingoni (XVe-XVIIe siècle). On distingue sur
cette photographie les maçonneries des fondations de plusieurs petites pièces. Photographie M.Pauly 2008.



La phase suivante d’occupation voit l’amélioration du confort de ces demeures avec l’aménagement d’ailes nobles d’habitation dans chacune des deux
habitations, caractérisées à chaque fois par une enfilade de petites pièces et de réduits étroits. L’une de ces pièces comportait un sol enduit de mortier de chaux tandis qu’une salle
d’ablution ou latrines était aménagée à l’emplacement de la fosse à chaux dont la cavité avait été conservée. L’oxydation de son sol de terre battue nous ayant indiqué la présence d’eau en
cette petite pièce. Ces ailes nobles d’habitation portaient une toiture plate en terrasse composée de blocs taillés de corail, employés ici pour leur légèreté sur un probable solivage en bois
de palétuvier fixé par de long clous forgés. Chaque mur était recouvert d’une ou deux couches d’un enduit à base de chaux et de sable tandis que les ouvertures étaient décorées de chanfreins
comme les angles encore conservés des tombeaux shirazi de Tsingoni, datés du XVIe siècle. Appuyés à l’extérieur contre chacun des deux enclos familiaux, deux coffrages maçonnés rectangulaires à
la manière de bassins mais sans fond, recouverts d’un enduit de chaux, sont interprétés comme étant des sépultures maçonnées bien que les fosses sépulcrales n’aient pu être fouillées. Outre des
tessons, le mobilier archéologique de cette phase d’occupation se traduit par des fusaïoles employées pour le filage, des disques d’oreilles taillés dans des vertèbres de poisson et une petite
perle en pâte de verre rouge brillante d'origine indienne.



         


De gauche à droite: céramique locale du XVIe siècle: carène striée et col recouvert d'un engobe noir, trois
exemples de fusaïoles (lestes à fuseaux). Photographies M.Pauly 2006-2008


            


De gauche à droite: clous forgés de charpente, polissoir, disques d'oreilles en vertèbre de poisson et pied de
tablette à Mtsinzano en corail.



L’ultime phase d’occupation, la plus récente, est caractérisée par des traces de constructions précaires et des dépotoirs sur les ruines de ces anciennes
demeures. Les tessons de céramique de cette phase d’abandon sont comparables aux sites mahorais de la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle (Soulou, Mtsamboro). Aucun tesson de la phase
culturelle tardive Tsoundzou ou Polé n’y a été découvert.



De la fouille à la restitution:





Le relevé des vestiges archéologiques et
leur analyse permettent de reconnaître les phases successives d'occupation et de proposer une restitution. Les vestiges
d’Acoua sont très arasés (les élévations sont conservées sur moins d’un mètre au-dessus des massifs de fondation). La restitution des anciennes élévations, d’un intérêt scientifique, pédagogique et esthétique, s’élabore à
l’aide “d’outils”: 


•la comparaison avec des édifices conservés (notamment dans les îles des Comores); 


•l’apport de la documentation ancienne; 


•la logique du projet architectural (tracé régulier, proportion, distribution, etc.); 


•le respect des règles liées aux
contraintes techniques; 


•l’anastylose (étude des éléments d’architecture (tels les enduits) en
vue de restituer ouvertures, plafonds, etc.). 


 On considérera les reconstitutions, non comme offrant une
interprétation définitive, mais comme des hypothèses provisoires visant à suggérer une vision
raisonnable au plus près de la réalité. 





 
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Abstract

 

The Society of Mayotte History and Archaeology (SHAM) was founded in 1990. For the last twenty years it has undertaken archaeological researches on the island in close connection with the French National Cultural Authorities (DRAC) and the Centre d'Etude et de Recherches sur l'océan Indien occidental et le Monde Austronésien (formerly CEROI, nowadays CROIMA, INALCO, Paris). Several archaeological sites have already been discovered and studied. Besides, the Society has played a part in the elaboration of the island archaeological map. Its members have published many articles and books.

 

Key words: archaeological excavations, Comoro Islands, Mayotte island, Indian Ocean, cultural traditions, Swahili and Malagasy civilisations, Austronesian civilisation, history, mediaeval pottery, stone architecture, Dembeni civilisation, island civilisation, islamisation, shirazi sultanate, islamic civilisation, mediaeval trade, human migrations.

 

Treize siècles d'histoire!

Sgraffiato à voluteCe site propose la découverte de la recherche archéologique à Mayotte, facette peu connue de son patrimoine historique, riche d'une occupation humaine attestée dès le VIIIe siècle après J-C.

C'est uniquement l'histoire ancienne  ou pré-coloniale de Mayotte, antérieure à sa cession à la France en 1841 qui est présentée ici.