En parcourant certaines publications ou sites Internet, on peut lire, concernant Acoua quelques affirmations sur son histoire qui sont très discutables. Je propose ici, au travers d’un petit «questions-réponses», de faire le point sur l’histoire de ce village très attachant.
Des naufragés Portugais ont-ils donné son nom à Acoua?
Au risque de déplaire aux européano-centristes convaincus, non, Acoua ne tire pas son nom du portugais. En effet, on peut encore lire, ici et là, que des naufragés portugais auraient demandé aux villageois de l’eau, et que depuis, le village porterait le nom d’Agua.
Comment? C’est Acoua avec un c? Ah, certes, l’eau se dit Agua en Portugais. Dommage.
Évidemment, l’origine portugaise ne tient pas. À vrai dire, si les Lusitaniens ont fréquenté l’archipel des Comores au XVIe siècle, aucun de leur navire n’est connu pour avoir fait naufrage à Mayotte. Par contre, en Petite Terre, l’ancien village de Pamandzi Keli était situé sur la colline de Mirandole. Or, Mirandole signifie «petite colline» en Portugais: c’est le seul témoignage d’une présence portugaise à Mayotte!
À cela ajoutons qu’au début du XVIe siècle, d’après les écrits de Piri Reis, les Portugais auraient mis des hommes à Mayotte. Proche du Mozambique, les habitants de l’archipel des Comores parlaient le portugais lorsqu’ils commerçaient avec les Européens de passage, et ce, jusqu’au XVIIIe siècle. Malheureusement, cette affinité avec les Portugais n’est pas vraiment attestée par l’archéologie, alors que la présence hollandaise a laissé plus de témoignages comme les monnaies retrouvées à Soulou par Daniel Liszkowski. Mais voilà, Acoua ne s’appelle pas non-plus water!
Mais alors d’où vient ce nom d’Acoua? Des escargots?
Ankoa signifie effectivement en malgache le lieu des escargots. C’est l’explication pour le nom du village la plus plausible et la plus communément avancée. Il y a quelques générations seulement, ce gastéropode était consommé par les villageois et les dépotoirs des sites archéologiques du village en présentent en grand nombre.
Une autre origine austronésienne peut être avancée. La côte Nord-Ouest de Madagascar possède de très nombreuses baies, d’où elle tire son nom de côte des baies, «ankoala». Jean-Claude Hébert a alors avancé que le toponyme d’Acoua avait la même origine. Et effectivement, la baie d’Acoua pourrait très bien avoir donné son nom au village: an- qui est le préfixe en malgache ki-bushi pour désigné un lieu habité, et koala pour la baie (tout comme dans Kwala-Lumpur puisque le malais et le malgache appartiennent à la même famille des langues malayo-polynésiennes). Cette explication séduisante impliquerait que les malgaches furent les premiers habitants d’Acoua.
Depuis quand le village d’Acoua existe-t-il?
Il est possible de répondre à cette question précisément. Les plus anciens vestiges archéologiques ont été retrouvés à la fois, dans le quartier d’Angnala M’kiri et sur la pointe Kahirimtrou sur le site d’Antsiraka Boira. Ces villages existent avec certitude autour de 1100 puisque des tessons de vaisselle du Golfe persique (sgraffiato tardifs) y ont été retrouvés. Des datations de charbon par analyse RC14 ont cependant fourni une datation plus ancienne remontant au Xe siècle. Mais il faut être très prudent avec ces datations «absolues» car les âges ne sont pas correctement calibrés pour l’hémisphère Sud et un décalage d’au moins un demi-siècle doit être pris en compte. La fin du XIe siècle reste donc la date la plus probable pour les premières installations dans la baie d’Acoua. Aucun tesson antérieurà 1100 n’a d’ailleurs été retrouvé à Acoua. Ce n’est donc pas l’un des plus anciens villages de Mayotte. Au contraire, de nombreux villages sont fondés à Mayotte durant cette période d’essor démographique.
Acoua est un village de Mayotte où l’on parle le ki-bushi (dialecte malgache de Mayotte), depuis quand les malgaches vivent-ils à Acoua?
À Acoua, on parle le Ki-bushi, qui est un dialecte malgache très proche du sakalava et du betsimisaraka. Ces communautés malgaches étaient très nombreuses à Mayotte au début du XIXe siècle: les premiers parce qu’ils ont accompagné le roi sakalava du Boina Andriantsouli dans son exil à Mayotte lorsqu’il fut chassé par les conquêtes merina de Radama, les seconds parce que leur pays subissait les exactions des Zafinifotsy et beaucoup s’étaient réfugiés également à Mayotte.
De là à dire que la présence malgache à Acoua ou généralement à Mayotte est récente (début du XIXe siècle), c’est un pas que certains ont franchi mais qui n’est pas satisfaisant. Il suffit de reprendre les écrits d’un témoin direct de cette époque: le cadi Omar Aboubacar qui rédigea la première chronique de l’histoire de Mayotte en 1865. Celui-ci, afin d’expliquer la présence malgache à Mayotte, ne s’arrêta pas à la simple arrivée de réfugiés du temps d’Adriantsouli, mais évoqua une ancienne tradition rapportant la migration de Malgaches à Mayotte, commandés par le chef Diva Mame, épisode placé au tout début du sultanat à Mayotte, soit la fin du XVe siècle. C’est dire que pour les Mahorais du XIXe siècle, l’ancienneté de la présence de communautés malgaches à Mayotte était une évidence.
Depuis, on sait par l’archéologie que Mayotte, certainement grâce à sa position géographique privilégiée, entretenait des liens culturels et commerciaux très forts avec Madagascar, et que, sans que l’on puisse en apporter une preuve définitive, des communautés malgaches étaient très anciennement présentes à Mayotte. Par très anciennement, j’entends dès l’époque médiévale où se situent l’origine du peuplement de l’île.
Acoua présente-t-il les preuves d’une présence malgache ancienne?
À dire vrai, l’archéologie qui étudie les traces de la culturelle matérielle des époques passées a bien des difficultés à distinguer à Mayotte des différences notoires entre villages bantous de langue shi-maore et les villages malgaches: la céramique produite à Mayotte et plus largement dans l’archipel des Comores présente partout des décors similaires.
Néanmoins, à Acoua, pour des niveaux datés des XIIe-XIIIe siècles, une proportion plus grande de tessons à décors typiquement malgaches (avec des motifs en vague que l’on retrouve sur des sites du Nord de Madagascar: Mahilaka, Irodo...) semble privilégier cette époque pour une installation malgache. Une comparaison avec d’autres sites de l’île et correspondant aujourd’hui à des villages de lange shi-maore pourrait confirmer cette hypothèse.
Élément d’importance pour accréditer une présence malgache ancienne, le nom de l’ancien chef d’Acoua conservé par la tradition d’Acoua est celui d’un malgache islamisé: Bacari Garouwa Maro. Ces chefs, appelés fani à Mayotte, auraient régné dans chaque village avant que l’île ne soit unifiée par le sultanat shirâzi (autour de 1500) même s’il est difficile de connaître avec certitude à quelle époque ils se rattachent précisément.
Enfin, sur le site d’Antsiraka Boira, un rocher naturel de très grande taille présente à ses abords une concentration importante de tessons à décors médiévaux. Il pourrait alors s’agir ici d’une de ces pierres sacrées malgaches (vatomasina) recevant des dépôts d’offrandes et rituels animistes, et ce malgré l’islamisation (comme encore de nos jours à Chiconi pour la vato be rasi).
En quoi consiste les vestiges archéologiques découverts à Acoua?
Acoua est aujourd’hui un site archéologique bien connu même si chaque opération de fouille révèle des surprises.
C’est un site qui très tôt, au milieu du XIIe siècle, s’entoure d’un mur maçonné certainement à vocation d’enclos pastoral et défensif. La porte de cet enclos villageois, remaniée jusqu’à sa destruction complète vers 1400 est aujourd’hui visible depuis notre fouille archéologique, derrière la boutique de Djojo, quartier Agnala M’kiri.
Acoua possède les ruines d’une très ancienne mosquée. Son étude n’est pas achevée mais elle présente un appareil (agencement des pierres) typique des premières constructions d’Afrique de l’Est des XIe-XIIIe siècles, avec mur en brique de corail disposées en assises régulières. Cet édifice est incendié au XIVe siècle comme l’a daté une analyse RC14 de charbons de cette couche d’incendie.
Près de cet mosquée, vers 1400, de grandes demeures aristocratiques en pierre ont été étudiées. Leur plan rappelle déjà celui de la cour traditionnelle mahoraise (shanza) autour de laquelle des bâtiments en pierre étaient construits. On y reconnaît également l’influence arabo-swahilie dans la présence de petites pièces en enfilade. Près de la maison de Monsieur Tombou Ibrahim, dit le Brutal, il est encore possible de voir certaines de ces arases de construction fouillées en 2008.
Enfin, la fouille à Antsiraka Boira a permis d’identifier la nécropole de l’époque médiévale avec des tombes d’inspiration musulmanes datées des années 1100-1200.
Quand le village alors localisé à Agnala M’kiri s’est-il déplacé vers la plage?
Il est certain que le village entre en déclin après 1400: sa porte fortifiée est détruite, le quartier des notables abandonné: ses ruines servent alors de dépotoir durant l’époque moderne. Peut-être qu’une guère locale avec la chefferie voisine de Mtsamboro peut expliquer cela. C’est en tout cas ce qui est avancé par la tradition orale à Acoua.
On ne trouve pas à Agnala M’kiri de poterie postérieure à 1700. C’est donc au cours du XVIIIe siècle que le village a été définitivement abandonné, certainement pour le nouvel emplacement, au sud de la plage, où il est attesté au XIXe siècle. Ce n’est qu’avec la croissance démographique de ces dernières décennies et la frénésie de constructions que le village s’étend à nouveau sur le quartier d’Agnala M’kiri et se rapproche du site d’Antsiraka Boira.
Pourquoi dit-on qu’Acoua est une capitale religieuse de Mayotte?
C’est par ce que c’est la patrie du Cheik Anli (Anli Boun Safar), qui après avoir fait ses études en Grande Comore auprès du Cheik Maanrouf introduisit à Mayotte les premières confréries chadouli. Il eut en son temps (c’était au début du XXe siècle), des démêlées avec l’autorité coloniale qui n’aimait pas ces rassemblements de musulmans à l’époque où la France était en guerre contre l’Empire Ottoman, allié de l’Empire Austro-Hongrois et de l’Empire Allemand (Première Guerre mondiale). L’administrateur de l’époque, Charles Poirier, au nom de la lutte contre les confréries musulmanes, ne se priva pas de voler nombre de manuscrits qui enrichirent sa collection personnelle. Cheik Anli fit d’ailleurs quelques temps en prison à Dzaoudzi.
M. Pauly
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